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rêvé de Platon sur l’emplacement de Saïs, où le père de la philosophie grecque vint apprendre que les compatriotes d’Homère n’étaient, dans la généalogie des pensées humaines, que des enfans inexpérimentés ; enfin salué de nouveau, dans les plaines de Mansourah, l’ombre martiale et bénigne de saint Louis, dont il avait pris congé près des remparts de Sagette, où le bon roi donna de ses mains la sépulture aux champions de la croix. M. d’Estourmel parle de cette journée de la Massoure comme un soldat qui s’y serait trouvé ; on sent que dans ce désastre national sa propre famille aurait à revendiquer quelque part de cette moisson de gloire douloureuse que le temps recueille sur les tombeaux.

L’ouvrage de M. d’Estourmel est écrit avec une absence totale de prétention, une aisance facile, de bon goût, et un enchaînement remarquable de pensées. Il s’empare du lecteur, et le conduit sans effort comme sans langueur au terme qu’on ne voit pas approcher sans regret. Là, point de morceaux d’apparat, point de ces lambeaux de pourpre qui, dans un si grand nombre de relations dont chacune eut son jour, font ressortir, en cherchant à la déguiser, la pauvreté décolorée du tissu. C’est une odyssée du XIXe siècle, jamais chagrine, rarement éclatante, mais dont l’intérêt est soutenu autant que varié. La manière de M. d’Estourmel le rattache à cette école qui fleurit en France dans notre meilleur temps, alors que Hamilton racontait avec une négligence gracieuse les mémoires du chevalier de Grammont, et qu’étrangère comme Hamilton à toute école littéraire, Mme de Sévigné offrait le modèle inimitable des confidences faites à l’esprit par le cœur. C’est un ton sûr de bonne compagnie, c’est une habitude de correction qui fait rencontrer en toute occasion l’expression la plus logique en même temps que la plus naturelle ; c’est une candeur de sentimens qui dénote une ame sereine et douce, qu’une sympathie prompte et décidée met en harmonie avec le bon comme avec le beau. À ces graces natives joignez l’habitude des affaires, que décèlent la vigueur et la justesse des appréciations dans toutes les questions d’intérêt matériel que l’occasion s’offre d’effleurer, et cette expérience complète de la vie, qui jette des reflets sérieux sur un caractère que l’élasticité juvénile dont notre nation a le privilège n’abandonne pas dans ces lointaines régions.

Enfin l’artiste se reconnaît à chaque pas dans l’ouvrage de M. d’Estourmel. Ce don de fixer la forme exacte et d’indiquer la couleur véritable des objets, cette échelle de tons, cette fine gradation d’effets,