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Pologne a proclamé au contraire le principe libérateur de sa patrie, et révélé au monde le germe puissant d’où sortiront désormais toutes les insurrections panslavistes. Nous le répétons, ce mouvement n’est pas seulement polonais, il est slave. Étouffez-le sur un point, il renaîtra sur un autre. C’est le mouvement de toute une race. La petite Russie, la Bohême, la Hongrie, la Turquie danubienne, saluent les insurgés comme des frères, et se préparent à conquérir avec eux une indépendance commune. Depuis Vilna, sur la Baltique, jusqu’aux ports adriatiques de l’Illyrie, l’idée slave fait battre les cœurs. Cette mystérieuse race a enfin dévoilé son symbole ; elle l’a inscrit à Cracovie au front de l’aigle blanc. Du haut de ses Karpathes, elle a juré, si elle triomphe, de faire épanouir une liberté comme le monde n’en a encore jamais vu.

Ce qu’on doit surtout désirer, c’est que le noyau actuel de l’insurrection subsiste. Pour qu’il dure, il suffit d’une chose, c’est que ce qui reste de la noblesse polonaise se rattache généreusement au programme de Cracovie, sans se laisser effrayer par les menaces des puissances. Les paysans slaves verront bientôt où sont leurs vrais amis. Qu’on ne dise pas que les insurgés ne pourront se maintenir sans villes et sans argent. Ils ont des ressources inépuisables dans leurs hautes montagnes, partout fécondes, couvertes de moissons et de troupeaux ; ils ont des retranchemens que Dieu même leur a partout préparés dans les gorges des Karpathes, dans les profondes et marécageuses forêts qui tapissent le pied de leurs monts.

Cette chaîne, antique berceau de la race slave, et où si peu de voyageurs ont encore pénétré, s’étend, sur une longueur de près de trois cents lieues, depuis la Moldavie jusqu’à la Prusse, à travers la Russie, la Hongrie et l’Autriche. Les deux nations insurgées des Polonais et des Malo-Russes ont dans ces montagnes leurs tribus les plus primitives, celles des Gorals et des Hotsouls, qui ont de tout temps opposé aux idées et aux mœurs étrangères le plus de résistance. Les Gorals habitent les gorges du Lysa-Gora, les chaînes inaccessibles du Morski-Oko et du Babia-Gora, depuis les sources du Sann jusqu’à Bielits, où les cimes s’abaissent pour entrer en Silésie. Les Hotsouls, confédérés des Gorals, couvrent de leurs troupeaux les cimes des monts Biechtchadi, qui dominent tout le nord de la Hongrie, et s’étendent à l’orient jusqu’aux sources de la Moldova. Les Gorals et les Hotsouls occupent donc une ligne de plus de deux cents lieues de hautes montagnes, dont les contreforts, en s’abaissant, donnent naissance