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pas été plus convaincu que le bâtiment entier était resté intact depuis Pilate jusqu’à nos jours, malgré Titus et Cosroës. Il supportait impatiemment les objections, et il était bien tenté de déplorer mon incrédulité. J’avais beau lui répéter que personne n’était plus disposé que moi à croire à l’authenticité des traditions par rapport aux emplacemens, que j’en trouvais d’irrécusables garans dans la vénération qui, dès l’aurore du christianisme, s’était attachée aux lieux saints, dans la succession des évêques pendant les premiers temps, et dans la présence continue de familles chrétiennes à Jérusalem ; il n’était pas disposé à se contenter de cette déclaration. Elle était pourtant bien sincère, car je ne connais pas de ville au monde qui m’inspire plus la foi des emplacemens, et où les traditions me paraissent plus vivantes.

Ce n’est pas seulement la cité de David, le sanctuaire des Machabées, les trophées de Titus, les créneaux des croisés, les mosquées dont la sainteté ne le cède, dans l’islam, qu’au temple de la Mecque, ce n’est pas seulement la Jérusalem religieuse et la Jérusalem historique que M. d’Estourmel cherche sous la poussière et le deuil de son abaissement ; c’est encore à la clarté toujours vive de la poésie qu’il visite Sion et Siloé : la harpe des prophètes et la lyre chevaleresque de Torquato trouvent dans son récit des échos harmonieux. Entre les lignes sévères de la chronique et les nuages étincelans de la fiction se glissent dans le paysage les contours vaporeux de la légende. Sans y mettre le moindre artifice qui paraisse, M. d’Estourmel sait tirer un bon profit de tous ces matériaux divers. Il est si vrai dans toutes ses impressions, il se livre avec tant d’abandon au plaisir d’être convaincu, il compose un miel de si bon goût avec les fleurs quelquefois suspectes qu’il trouve sur sa route, qu’on ne se sent jamais le courage d’interrompre par des doutes historiques son confiant pèlerinage, éclairci dans ses détails par les illustrations fines et gracieuses que le crayon de M. d’Estourmel ajoute à presque toutes les pages du récit. On devine que Bethléem a sa bonne part du voyage, et, dans le fait, l’itinéraire suivi par M. d’Estourmel n’omet dans l’ancien patrimoine de Chanaan, transformé successivement en terre d’Israël et en royaume féodal de Jérusalem, aucun lieu qui ait été sanctifié par le bâton du patriarche, le manteau du prophète, la cymbale du psalmiste, le sang du martyr ou la lance du croisé.

Plus heureux que nous-même, le pèlerin dont jusqu’à présent nous avons accompagné les pas à la lueur de nos propres souvenirs a passé de Palestine en Égypte, interrogé dans Thèbes le mystère de la civilisation primordiale des grandes associations monarchiques,