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révolutionnaire daté de Cracovie, afin de mieux l’emporter sur les promesses autrichiennes, a revêtu une couleur qui l’a rendu tout d’abord suspect en Europe au parti conservateur. Les insurgés sentaient le besoin de pousser leur système d’émancipation jusqu’à ses plus lointaines conséquences. De là ce faux air de communisme imprimé au manifeste du nouveau gouvernement polonais. On conçoit que les partisans du statu quo se soient surtout effrayés du passage suivant : « Tâchons de conquérir une communauté où chacun jouira des biens de la terre d’après son mérite et sa capacité. Qu’il n’y ait plus de privilèges ; que celui qui sera inférieur de naissance, d’esprit ou de corps, trouve sans humiliation l’assistance infaillible de toute la communauté, qui aura la propriété absolue du sol, aujourd’hui possédé tout entier par un petit nombre. Les corvées et autres droits pareils cessent, et tous ceux qui auront combattu pour la patrie recevront une indemnité en fonds de terre, prise sur les biens nationaux. » Ces paroles, il faut l’avouer, ne sont pas de nature à rassurer ceux qui espèrent dans une féodalité nouvelle, fille de l’industrie et des chemins de fer. Cependant on doit comprendre d’abord la nécessité où était la révolution de renchérir dans son programme sur les promesses de l’Autriche. En outre, il y a dans ce manifeste certains mots évidemment mal traduits par les journaux allemands, auxquels les journaux français sont forcés de s’en rapporter : ainsi le mot de communauté a certainement été mis à la place du mot société, attendu qu’en slave il n’y a pas, pour dire société, d’autre expression possible que celle qui, interprétée littéralement, signifie communauté. Il serait donc souverainement injuste d’expliquer dans le sens des communistes un mot qui désigne simplement la société ou la nation. Or, promettre aux paysans, aux serfs qui se seront battus, de les rendre propriétaires aux frais de la nation ; garantir aux pauvres, aux infirmes, à tous ceux qui souffrent, qu’ils recevront sans humiliation l’assistance nationale, franchement, est-ce là du communisme ? Si l’on m’objectait que ces distributions de terres aux paysans ne pourront avoir lieu qu’aux dépens des grands propriétaires prétendus féodaux des provinces slaves, je répondrais que, puisque ces grands propriétaires eux-mêmes lancent de tels manifestes, il faut apparemment qu’ils soient décidés à faire à leur patrie le sacrifice non-seulement de leur vie, mais même de leur fortune matérielle, à laquelle on semble croire qu’il est impossible de renoncer. Or, si les seigneurs polonais veulent se dépouiller eux-mêmes, il n’y aura, je crois, que l’Autriche qui trouvera légitime