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certains soirs plus d’un représentant debout du XVIIIe siècle, Tracy, Lacretelle aîné, Daunou. Le jeune historien de vingt-six ans y parlait de la journée de la Saint-Barthélemy et des causes qui l’avaient préparée. Dès les premiers mots de la lecture, l’auditoire tout entier était conquis ; chacun se sentait saisi d’un intérêt sérieux et sous l’impression de cette parole qui grave, de cet accent qui creuse. La prononciation quelque peu puritaine et ce débit empreint d’autorité redoublaient encore leur effet en sortant du sein d’une jeunesse si pleine d’éclat et presque souriante de grace. Ce jeune homme à la physionomie aimable et à l’élégante chevelure offrait à la fois quelque chose d’austère et de cultivé, un mélange de réflexion et de candeur. Chaque trait de talent et de pensée était vivement saisi au passage, et je me souviens qu’on applaudit fort celui-ci par exemple (je ne le cite que comme m’étant resté dans la mémoire), lorsqu’arrivant à parler de l’ordre des jésuites, l’historien décrivait cette société habile, active, infatigable, qui, pour arriver à ses fins, osait tout, même le bien. Cette leçon sur la Saint-Barthélemy fut si goûtée des assistans, que les absens supplièrent M. Mignet de la répéter en leur faveur, et il la recommença la semaine suivante devant une assemblée deux fois plus nombreuse. Je n’ai pas craint de fixer ce souvenir qui, toutes les fois que les succès de M. Mignet se renouvellent, m’apparaît de loin tout au début de sa carrière. Il est juste et doux de reconnaître que, depuis ce moment-là, il n’a fait autre chose que marcher en avant, poursuivre, étendre les mêmes études en les approfondissant, se perfectionner sans jamais dévier, cueillir le fruit (même amer) des années sans laisser altérer en rien la pureté de ses sentimens ni sa sincérité première. Cette destinée grave et sereine, toute studieuse, sans écart, me fait l’effet d’une belle et droite avenue dont les arbres sont peut être plus hauts et mieux fournis en avançant : tout à l’extrémité, j’aime à y revoir ces premières stations plus riantes, sous le soleil.

Au printemps de 18x, parut l’Histoire de la Révolution française : ce fut un immense succès et un événement. On n’avait pas eu jusque-là dans un livre la révolution tout entière résumée à l’usage de la génération qui ne l’avait ni vue ni faite, mais qui en était fille, qui l’aimait, qui en profitait et qui l’aurait elle-même recommencée, si elle eût été à refaire. On avait des histoires écrites par de véritables contemporains, acteurs ou témoins, juges et parties, des mémoires. M. Mignet fut le premier qui fit une histoire complète abrégée, un tableau d’ensemble vivant et rapide, un résumé frappant, théorique, commode. Autrefois, on faisait des éditions ad usum Delphini : cette