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études diverses, et qui promet d’être son œuvre définitive. On voit que de bonne heure tous les cadres dans lesquels avait à s’exercer une pensée si pleine d’avenir étaient trouvés.

Cette fixité dans les points de départ et dans les buts assignés, cette détermination prompte et précise dès les premiers pas dans la carrière, caractérisent, ce semble, une nature d’esprit, et contrastent fortement avec la mobilité de la jeunesse. M. Mignet en eut surtout la vigueur, qu’il appliqua aussitôt dans toute son intégrité ; il ne laisse apercevoir aucun tâtonnement, aucune dispersion : c’est là un des, traits qui lui appartiennent le plus en propre. Lui et M. Thiers, d’ailleurs, ils arrivaient à Paris avec une pensée arrêtée en politique, avec une opinion déjà faite, qui aidait beaucoup à la résolution de leur marche et qui simplifiait leur conduite. Ils étaient très convaincus à l’avance de l’impossibilité radicale qu’il y aurait pour les Bourbons à. accepter les conditions du gouvernement représentatif, du moment que ces conditions s’offriraient à eux dans toute leur rigueur, c’est-à-dire le jour où une majorité parlementaire véritable voudrait former un cabinet et porter une pensée dirigeante aux affaires. Ces deux jeunes esprits entraient dans la lutte, bien persuadés que la dynastie (par suite de toutes sortes de raisons et de circonstances générales ou individuelles dont ils n’étaient pas embarrassés de rendre compte) ne se résignerait jamais à subir le gouvernement représentatif ainsi entendu, et dès-lors ils tenaient pour certaine l’analogie essentielle qui se reproduirait jusqu’à la fin entre la révolution française et la révolution d’Angleterre, et qui amènerait pour nous au dernier acte un changement de dynastie. Cette opinion chez eux, non pas de pur instinct et de passion comme chez plusieurs, mais très raisonnée, très suivie[1] et beaucoup plus arrêtée que chez leurs jeunes amis libéraux du monde, donna du premier jour à leur attaque toute sa portée, et imprima à l’ensemble de leur direction intellectuelle une singulière précision.

J’ai encore présentes à l’esprit ces premières leçons de l’Athénée dans lesquelles M. Mignet aborda le XVIe siècle et la réforme. Il n’avait pas publié à cette époque son tableau de la révolution française ; il n’était connu que par son prix récent à l’Institut et par les témoignages enthousiastes de quelques amis. Je le vois s’asseoir dans cette chaire qui n’était pas sans quelque illustration alors, que décoraient les souvenirs de La Harpe, de Garat, de Chénier, et qu’entouraient à

  1. C’était celle également de Manuel et de Béranger.