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Au lieu de reprocher aux employés de ne trouver que rarement, ne serait-il pas plus juste de les féliciter de trouver quelquefois ? Ajoutons que l’incertitude de ces employés eux-mêmes est si grande, que quelques-uns portent le nombre des volumes à douze cent mille, tandis que d’autres le réduisent à sept cent mille.

Ce n’est pas tout que le service public ; il y a les acquisitions. Lorsqu’on achète un volume, il faut d’abord s’assurer qu’il manque, et, comme cette vérification est toujours difficile et incertaine, il peut arriver qu’on paie fort cher ce qu’on avait déjà depuis long-temps. Enfin, si des soustractions sont commises, quel moyen aura-t-on de les constater, et pourra-t-on s’en apercevoir en temps utile[1] ?

L’insuffisance du classement matériel, la dispersion sur les points les plus éloignés des livres appartenant à la même famille bibliographique, voilà donc un premier vice dont il est superflu de faire ressortir les conséquences. Une autre cause de désordre, c’est le manque de catalogue. Cette importante question du catalogue est pendante depuis cinquante ans, et elle est loin d’être résolue. Qu’a-t-on fait jusqu’ici pour la résoudre ? Les cent cinquante mille volumes antérieurs à 89 sont fort exactement catalogués, et on en possède l’inventaire imprimé pour l’Écriture sainte, la théologie, les belles-lettres et le droit. Chaque série porte pour indication générale une lettre de l’alphabet, A, Écriture sainte, B, liturgie et conciles, etc., jusqu’à Z. Les livres, dans chaque série, sont classés sous un numéro d’ordre, les numéros se suivent jusqu’à la fin de la série ; mais, comme l’a très bien expliqué M. Danjou dans l’Exposé succinct d’un nouveau système d’organisation des bibliothèques publiques, « les premiers auteurs du catalogue, n’ayant point prévu l’immense accroissement qu’il devait recevoir, n’y ont laissé aucune lacune. Si la lettre A, par exemple, contenait cinq mille ouvrages, on a employé cinq mille numéros, et comme, par suite de la régularité des classifications, un livre a toujours une place déterminée, il a pu arriver qu’entre les n°’ 10 et 11, il a fallu insérer cent ouvrages, ce qui a nécessité l’emploi des

  1. Il nous est impossible de ne pas appuyer ici nos paroles par un exemple. En énumérant tout à l’heure les richesses de la Bibliothèque, nous parlions d’une précieuse collection de musique. Cette collection fut donnée à Louis XIV par le chanoine Brossard, grand-chantre à la cathédrale de Meaux, à la charge qu’on assurerait à sa nièce une pension viagère de 1,200 livres, et le grand roi fut si charmé du legs, qu’il doubla la pension. Or, il est arrivé, il y a quelques années, qu’un amateur, j’allais me servir d’un autre mot, s’introduisit par abus de confiance au milieu de ce trésor. Il y signala sa présence par des vides effrayans ; mais, comme les pièces, rangées dans des reliures mobiles, n’étaient que fort imparfaitement inventoriées, comme on les avait déclassées à peu près au hasard, on ne s’aperçut des soustractions que beaucoup plus tard, et quand déjà l’individu était allé s’établir au-delà de la frontière. On ignorait ce qu’on avait perdu ; il fallut, pour la restitution, s’en rapporter à la conscience du voleur, et, afin de mettre les choses en règle, on lui donna un quitus en échange de quelques volumes insignifians.