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II – DES MESURES ADMINISTRATIVES : LE DEPLACEMENT, LA FERMETURE DES TOURS

Il nous est venu d’Angleterre, dans ces derniers temps, je ne sais quelles théories matérialistes, qui au nom de l’économie sapent toutes les bases de la morale et de l’humanité. Que disent ces théories ? Les riches ne doivent rien aux pauvres ; il faut que chacun pourvoie comme il peut à ses besoins ; l’assistance publique est un abus qui encourage la paresse et les penchans vicieux. Peu s’en faut que, séduit par de telles doctrines, on n’ait déclaré la charité une vertu immorale ou tout au moins dangereuse. Voici un homme qui meurt de faim à votre porte gardez-vous bien de le secourir, car vous en feriez peut-être un mendiant ou un vagabond. Voici un enfant qu’une main inconnue a jeté sur le seuil de votre maison : n’allez pas commettre la faute de vous laisser attendrir et d’adopter cet enfant, car d’autres mères pourraient le savoir, et l’idée qu’une femme a pu exposer un nouveau-né sans causer sa mort les engagerait à en faire autant. Mal pour mal, nous aimons encore mieux la doctrine chrétienne qui a fait un précepte de l’aumône. Si l’aumône est un palliatif grossier et impuissant, elle entretient du moins le lien social. Une charité irréfléchie peut sans doute devenir funeste aux pauvres en les poussant à l’oisiveté, et nous sommes même prêt à reconnaître que dans beaucoup de cas il vaudrait mieux donner du travail que des secours. Travailler, c’est devenir meilleur : l’ouvrier actif rapporte non-seulement au logis, à la fin de la semaine, l’argent nécessaire pour nourrir sa famille ; il rapporte encore chaque soir à sa femme, à ses enfans, un front plus joyeux, un cœur plus fidèle et plus dévoué. Celui qui donne de l’ouvrage donne deux fois, car, outre le salaire qui est le fruit du travail, il communique le bien-être moral attaché à l’accomplissement d’un devoir. Il y aura néanmoins toujours une classe de pauvres que cette philanthropie n’atteindra pas. C’est surtout vers ceux-là, c’est vers les vieillards, les infirmes, les enfans en bas-âge, que la charité chrétienne inclinait le cœur des riches. Elle leur disait : Vous êtes les pourvoyeurs de leurs besoins ; je vous adjure de prélever pour eux un fonds sur la modération de vos vanités et de vos délicatesses sensuelles. Un tel langage était sans contredit plus humain que celui des économistes de la Grande-Bretagne ; il était même plus politique, car la société est aux yeux du philosophe un apport mutuel de forces et d’élémens divers qui se fécondent par l’union. La somme des services