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honte de leur lâche action réduisait le plus souvent ces malheureuses mères au silence, et assurait l’impunité d’une complice mille fois plus coupable qu’elles-mêmes.

Comme on le voit, les sages-femmes ont d’autres motifs que la rétribution directe pour exhorter les mères au délaissement. Ce gain pourtant n’est pas à dédaigner. Les sages-femmes exigent en général de 20 à 30 francs pour déposer un enfant dans le tour, et croirait-on qu’une quinzaine d’entre elles à Paris portent à l’hospice jusqu’à sept enfans par semaine ? ce qui suppose en moyenne, pour chacune, un revenu de 9,000 francs par an ! Quelques-unes même retirent de leur industrie un bénéfice encore plus considérable ; il y en a qui prélèvent sur les expositions une rente annuelle de 14,000 à 20,000 francs. Sur 5,000 nouveau-nés (et nous comptons au plus bas) qui tombent, année commune, à la charge de l’hospice de Paris, la moitié au moins ont passé entre les mains des sages-femmes. On voit d’ici quelle vaste exploitation ! Il n’y a plus guère sujet après cela de s’étonner du grand nombre des sages-femmes et de la concurrence qui règne en un pareil métier. On a plutôt le droit d’être surpris en voyant ces pourvoyeuses du tour exiger un prix si élevé d’une commission que le premier venu pourrait remplir ; mais les sages-femmes ont le talent d’exagérer aux yeux des filles-mères les difficultés de l’admission dans l’hospice. Elles profitent ainsi de l’ignorance et de la honte des malheureuses pour les rançonner, car ces difficultés n’existent pas : le tour est ouvert pour tout le monde. Enfin elles s’arment de toutes les ressources du charlatanisme pour persuader aux mères que le secret de l’exposition sera mieux placé entre leurs mains. La discrétion devrait assurément constituer la première qualité de semblables confidentes, mais les sages-femmes ne connaissent que la discrétion qui s’achète, et la coupable facilité avec laquelle ces femmes vendent le secret qui leur a.été confié n’a d’égale que leur adresse à poursuivre et à dévoiler les traces d’une affaire ténébreuse.

Les enfans que les sages-femmes ravissent en quelque sorte par violence au sein des mères sont-ils du moins déposés invariablement dans le tour de l’hospice ? Des témoignages accablans nous forcent d’en douter. D’abord un certain nombre de ces enfans sont exposés sur la voie publique ; ces commissionnaires infidèles trouvent quelquefois plus commode de s’épargner les ennuis et les longueurs de la route en se déchargeant du nouveau-né au coin de la première borne venue. Il est arrivé aussi que des enfans confiés à des sages-femmes pour être portés dans l’hospice ont été redemandés plus tard à l’administration