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d’enfans est incalculable ; non-seulement la plupart d’entre elles acceptent volontiers la commission de porter elles-mêmes le nouveau-né aux Enfans-Trouvés, mais, non contentes d’une coupable complicité, elles obsèdent, en cas de résistance, l’esprit affaibli des femmes récemment délivrées, pour les amener à une séparation contre laquelle se soulève la nature. Quelques-unes ont eu recours, en pareil cas, à la menace ou à la fraude. A peine ont-elles obtenu, par une sorte de contrainte morale, la permission d’enlever le nouveau-né pour l’hospice, qu’elles s’en saisissent comme d’une proie. Ce petit être leur a été remis ordinairement couvert des nippes de la mère ; un grand nombre de ces femmes le dépouillent en chemin, et le jettent ensuite tout nu dans le tour. Voler les langes d’un enfant abandonné, c’est presque aussi odieux que de prendre le linceul d’un mort ! La maison d’accouchement, située dans le quartier Saint-Jacques, étant ouverte aux sages-femmes comme le théâtre classique de leurs études, elles en profitent pour y semer de mauvaises influences. Parmi les femmes enceintes qui mettent au jour dans cet hospice les fruits de l’imprudence ou de la débauche, il y en a un grand nombre qui sont irrésolues sur la destination de leur enfant. Les religieuses leur donnent de bons avis pour les déterminer à remplir les devoirs de mère. Le plus souvent ces avis ont un heureux résultat : les pauvres Madeleines, à demi repentantes, sont sur le point de sortir de l’hospice avec leur enfant qu’elles ont bien l’intention de garder. Une sage-femme survient qui détruit l’ouvrage des religieuses. Cette mauvaise conseillère choisit plus d’une flèche dans son carquois ; elle en a qui manquent rarement le but. Elle trouve moyen de persuader à la mère que son enfant sera mieux traité entre les bras de la charité que dans les siens, déjà si chargés de misères et de travaux. Une des ruses, un des argumens que les sages-femmes emploient le plus ordinairement en pareil cas, et qui ont le plus de prise sur le cœur des faibles mères, c’est de leur laisser croire qu’elles pourront communiquer librement avec leur nouveau-né après son admission dans l’hospice. On sait qu’il n’en est rien : l’enfant tombé dans le tour est un enfant perdu pour sa mère. Quelques sages-femmes ont eu alors recours à des artifices inimaginables pour abuser les pauvres filles durant plusieurs années, en leur donnant sur le compte de leur enfant des nouvelles fausses, qu’elles faisaient semblant de tenir de l’administration par une voie secrète et coûteuse. Il va sans dire que les mères payaient les frais de cette correspondance imaginaire. La ruse finissait quelquefois par se découvrir : l’enfant était mort ou perdu depuis long-temps ; mais la