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économistes ont accusé le libertinage des mères : trop souvent la mauvaise conduite de l’homme amène le mépris des devoirs chez la femme, et les enfans portent la peine attachée au relâchement des liens conjugaux. L’exposition, dans un pareil cas, n’a même pas la misère pour excuse : des parens sans tendresse et sans moralité se débarrassent quelquefois des fruits du mariage uniquement pour être plus libres de suivre leurs penchans vicieux.

L’action de l’homme sur l’accroissement des expositions ne se limite pas à ce triste abus de l’autorité paternelle : dans nos campagnes, elle s’exerce encore sous une autre forme. Il n’est guère de plaie vive du cœur humain sur laquelle ne s’établisse une industrie ignoble et parasite. On ne s’attendait sans doute pas à rencontrer dans notre société le métier d’expositeur ; ce métier existe pourtant, il est même lucratif. De tels hommes se chargent, moyennant un prix convenu, de conduire secrètement au tour le plus voisin les enfans qu’on veut faire disparaître. Une facilité qui sert si bien les désirs de tant de filles ne pouvait manquer d’être recherchée ; les expositeurs ont réussi. Leurs prétentions s’accroissent à mesure qu’ils ont la conscience d’être plus nécessaires : en général, ces hommes vendent chèrement leurs services ; ils reçoivent pour chaque enfant une rétribution qui s’élève de 30 à 100 francs. Ce tarif varie d’ailleurs selon les localités et selon les personnes dont les expositeurs tiennent le secret entre les mains. Quelques-uns sont parvenus à mettre leur entreprise clandestine sur le pied d’un véritable établissement industriel ; ils travaillent en grand et ont des voitures pour faire régulièrement le chemin de l’hospice. Si encore ces misérables ne faisaient que servir l’indifférence de certaines mères en leur facilitant les voies à l’exposition ! mais on a vu des repris de justice, des gens sans aveu, parcourir ainsi tout un département, et intimider les filles séduites pour leur arracher le fruit de leur grossesse. Il y en a même qui poussaient la contrainte et l’audace jusqu’à ravir les enfans dans les bras des mères, en les menaçant de les perdre si elles refusaient de les leur abandonner moyennant un indigne salaire. Suivant M. Curel, préfet du département des Hautes-Alpes, cette vile spéculation est une des causes qui livrent le plus d’enfans aux tours des hospices. Dans quel état encore les malheureux confiés aux mains des expositeurs arrivent-ils entre les bras de la charité publique ! Des faits d’une gravité accablante démontrent que ces hommes ne respectent guère la matière de leur industrie : des enfans ont souvent péri, faute de soins, durant le trajet ; d’autres ont été jetés à la porte de l’asile avec une négligence déplorable. Un enfant