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« Oh ! c’est un mal cruel, déplorable à jamais,
Pour moi surtout, monsieur ! Non, vous ne pouvez croire
A combien d’embarras m’exposent ses accès ?
Des tours qu’elle me joue on ferait une histoire.
Je l’aime cependant ; si je vous racontais…
Mais visitons d’abord notre laboratoire. »

Au seuil du tabernacle, en effet, nous touchions ;
Nous entrâmes : ici grande fut ma surprise,
Quand je vis s’étager du sol jusqu’aux plafonds,
Au lieu de manuscrits et de partitions,
Des fioles dont une eau de couleur jaune ou grise,
Rose ou bleue, éclairait le cristal de Venise.

D’un côté le piano fracassé, vermoulu ;
De l’autre un alambic de forme singulière,
Puis des partitions, des manuscrits à terre,
Le tout horriblement mélangé, confondu ;
De pièces, de morceaux, mirifique inventaire !
Des œuvres de la veille étrange résidu !

Sur ces divers fragmens d’écriture effacée,
A peine pouvait-on des primitifs auteurs,
A force de travail, lire encor la pensée,
Et je me rappelai, chez les distillateurs,
Ces informes amas de feuilles et de fleurs
Dont la divine essence en un vase est passée.

— « Donc ceci, mon cher maître, est votre cabinet ?
M’écriai-je. — Oui, sans doute. — Eh ! mais, sans vous déplaire,
On se croirait plutôt chez un apothicaire.
— Apothicaire ! Eh ! eh ! pour vous parler tout net,
Nous le sommes un peu ; qui plus ou moins ne l’est ?
Je vous ai dit d’ailleurs ma formule ordinaire.

« Trois drachmes de Weber, cent de Donizetti !
Je combine, j’extrais et je volatilise.
Pensez-vous que l’on puisse être mieux assorti ?
S’il me manque un seul nom, j’entends qu’on me le dise. »
Et tandis qu’il parlait, je lus cette devise
Sur le plus gros flacon : Spiritus Mozarti.