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— « Tudieu ! dit Coppola, c’est bien se faire attendre,
Et nous avons l’oreille un peu dure ce soir.
— « Pardon, maître, pardon ; n’allez pas m’en vouloir :
Je chantais dans ma chambre, et n’ai pu vous entendre. »
Et sa peau délicate, aisée à s’émouvoir,
S’éclaira d’un reflet du rose le plus tendre.

Puis le musicien d’un ton plus radouci :
— « C’est ma nièce, monsieur, oui-dà : miss Sensitive !
(A cause de ses nerfs je l’ai nommée ainsi.)
Elle est presque toujours souffrante et maladive ;
Mais quelle intelligence ! et quelle voix aussi !
Près de mon oiseau bleu, Sontag n’est qu’une grive.

« Ah ! si l’enfant voulait débuter, quel succès !
Avant un an, monsieur, vous la verriez princesse ;
Mais nous sommes farouche et timide à l’excès ;
Pour le plus petit mot, nous tombons en faiblesse.
Je tremble que ce soir elle n’ait un accès.
Tenez, la voyez-vous qui s’éloigne et nous laisse ? »

Telle en effet qu’une ombre, et sans que de ses pas
On entendit le bruit, la douce jeune fille
Se dérobait à nous. — « Ne regrettez-vous pas
De voir si lestement retourner vers sa grille
La nonnette aux abois ? » — « Pauvre petite, hélas !
Reprit le maestro, comme son regard brille !

« C’est de l’accès qui vient le signe régulier.
— Que parlez-vous d’accès ? — Sur son front magnétique
Ne lisez-vous donc pas le secret tout entier ?
Elle va s’endormir d’un sommeil fantastique,
Puis courir au jardin, puis s’asseoir au clavier,
Et chanter jusqu’au jour une folle musique ;

« Des airs qu’elle improvise, étranges, inouis,
Qu’on essaierait en vain de transcrire à la plume,
Des hymnes pour les fleurs et pour l’astre des nuits.
Après avoir erré les pieds nus dans la brume,
Hier elle s’éveilla sur la marge d’un puits ;
Comprenez-vous enfin le mal qui la consume ?