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sans relâche depuis quatre ans. Le ministère du 29 octobre a beaucoup fait pour la fortune parlementaire de M. Billault ; l’honorable député serait bien ingrat, s’il ne conservait pas à M. Guizot quelque reconnaissance.

M. Guizot, dans cette discussion des fonds secrets, a déployé toutes ses ressources oratoires ; il a montré surtout une verve d’expression et une aisance d’esprit qui ne sont pas le caractère habituel de son talent. Pourquoi faut-il que des facultés si rares soient dépensées au service d’une cause perdue ? pourquoi faut-il aussi que ces grands dehors d’éloquence couvrent au fond des raisons si petites et des sophismes si dangereux ? M. Guizot repousse les ministères de conciliation ; il veut que la chambre comme le pays soient tranchés en deux partis inconciliables, systématiquement opposés l’un à l’autre. M. Guizot repousse les transactions politiques, il n’admet que les transactions individuelles. Peut-on méconnaître à ce point l’esprit de notre époque et les conditions du gouvernement représentatif ? Pas de transactions ! mais quel est le pouvoir sérieux qui refuse aujourd’hui de transiger, et qui ne fasse des concessions dans l’intérêt même de la cause qui lui est confiée ? Sans parler des gouvernemens libres, voyez les gouvernemens absolus, voyez les états du nord de l’Europe. En Suède, en Danemark, en Prusse, dans les états d’Allemagne, le pouvoir transige. Il modifie son principe, il atténue ce qu’il a d’exclusif et de rigoureux, il obéit à l’esprit du temps. Pas de conciliation, dites-vous, pas de transactions ! mais quand cela serait possible ailleurs, ce serait impossible en France. Que faisons-nous depuis 89, en philosophie, en industrie, en politique, si ce n’est un travail de rapprochement et de fusion entre des principes longtemps ennemis, long-temps en guerre ? En politique, nous cherchons à concilier la liberté et l’ordre, la discussion et le pouvoir, les droits de l’individu et ceux de la société ; nous voulons la paix, mais une paix suffisamment digne et glorieuse. Partout nous voulons cimenter l’alliance entre des intérêts qui semblent se repousser les uns les autres, et qu’un gouvernement habile doit savoir rapprocher et confondre dans une satisfaction commune. Telle est l’œuvre de notre époque. Nous admettons partout les idées de conciliation, nous repoussons partout les théories exclusives ; ce sont elles qui ont fait le malheur du genre humain. Et l’on vient nous dire aujourd’hui : Point de transactions ! point de partis intermédiaires ! autant vaudrait dire que la justice, la modération et le bon sens doivent être bannis du parlement.

M. le ministre des affaires étrangères a oublié ce qu’il disait en 1827. À cette époque aussi, il y avait en France un parti qui repoussait les opinions mixtes, et qui voulait que la chambre fût divisée en deux camps séparés par un abîme. On sait quel a été le triomphe de ce parti, et ce qu’il en a conté à la restauration pour avoir suivi ses conseils. M. Guizot était alors le partisan des opinions intermédiaires. Il voulait qu’on transigeât ; il voulait que le gouvernement élargît sa base au lieu de la rétrécir. Il donnait à la restauration de sages avertissemens. Le langage qu’il tenait alors, les conservateurs dissidens