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vous avez, dans vos Portraits, mêlé le charme à l’érudition, et laissé entrevoir un moraliste qui égale parfois la délicatesse de Vauvenargues et ne rappelle jamais la cruauté de La Rochefoucauld. Comme romancier, vous avez sondé des côtés inconnus de la vie possible, et dans vos analyses patientes et neuves, on sent toujours cette force secrète qui se cache dans la grace de votre talent. Comme philosophe, vous avez confronté tous les systèmes ; comme critique, vous avez étudié toutes les littératures…

« Par vos recherches sur la langue, par la souplesse et la variété de votre esprit, par la vivacité de vos idées toujours fines, souvent fécondes, par ce mélange d’érudition et d’imagination qui fait qu’en vous le poète ne disparaît jamais tout-à-fait sous le critique et le critique ne dépouille jamais entièrement le poète, vous rappelez à l’Académie un de ses membres les plus chers et les plus regrettés, ce bon et charmant Nodier, qui était si supérieur et si doux.....»


Voilà de nobles jugemens exprimés dans un noble langage. En tout ceci, on le voit, l’attitude de l’éminent écrivain a été digne ; nous aimons à rendre ce témoignage public à ses sentimens.

La réponse que M. Victor Hugo a faite à M. Sainte-Beuve, et on il a parlé, en termes excellens, de l’auteur du Paria, a plus d’une fois produit l’émotion. M. Hugo a obtenu beaucoup plus de succès que dans son précédent et très contesté discours sur M. Saint-Marc Girardin. Son morceau d’avant-hier a des portions touchées avec vigueur, des traits de charmante poésie. On a particulièrement remarqué une fraîche et délicieuse esquisse de la vie intérieure de M. Delavigne, et des pages fortement colorées sur Port-Royal, qui, malgré l’abus de la pompe, ont obtenu le rare et précieux suffrage de M. Royer-Collard. Si M. Sainte-Beuve affine trop sa pensée, M. Victor Hugo grossit trop la sienne. Chez lui, les riches métaphores abondent, redoublent, s’entrecroisent, et l’idée souvent est comme oppressée sous ces splendides draperies de synonymes : c’est toujours le même abus éblouissant, le même emploi savant de l’hyperbole et de l’antithèse. Mais des traits de vraie grandeur rachètent heureusement ce luxe exagéré de la forme, cette solennelle étiquette de la phrase ; il n’y aurait souvent qu’à émonder le feuillage trop touffu pour que le tronc du chêne se montrât dans sa majesté. Certains détails médiocrement heureux eussent aussi pu disparaître : sans parler du ton de prédication qui me gâte un peu cette éloquence, je n’aime pas, par exemple, cette insistance traînante sur Waterloo dont Béranger a si bien dit :