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convenu et du style spontané, qui ressemble fort peu au procédé académique. L’auteur de Joseph Delorme n’a donc rien renié, comme le railleur feuilleton d’une amie de M. Victor Hugo nous le faisait craindre l’autre jour. Mme de Girardin oubliait qu’être appelé traître et félon par une femme (même quand elle tâche d’être si peu femme) est toujours très flatteur pour un homme, et qu’il y avait là de quoi rendre fat plus d’un poète.

Certain vers des Consolations, dans un sonnet adressé à M. Victor Hugo, m’est revenu plus d’une fois au souvenir, quand l’illustre auteur des Feuilles d’Automne en est arrivé à l’appréciation des titres littéraires de M. Sainte-Beuve :

Votre souffle en passant pourrait nous renverser.


Mais le colosse au contraire s’est fait bénin ; comme Hector, il a doucement bercé Astyanax dans son casque, quoiqu’Astyanax ne soit rien moins qu’un « jeune géant » dans les Odes et Ballades. M. Victor Hugo a loué, en termes trop délicats les mérites de M. Sainte-Beuve pour que nous ne détachions pas ici cette page qui exprime à merveille nos propres opinions, et qui est une noble marque d’équité de la part du célèbre poète :


« L’Académie peut le proclamer hautement, et je suis heureux de le dire en son nom, et le sentiment de tous sera ici pleinement d’accord avec elle, en vous appelant dans son sein, elle a fait un utile et excellent choix. Peu d’hommes ont donné plus de gages que vous aux lettres et aux graves labeurs de l’intelligence. Poète, dans ce siècle où la poésie est si haute, si puissante et si féconde, entre la messénienne épique et l’élégie lyrique, entre Casimir Delavigne qui est si noble et Lamartine qui est si grand, vous avez su dans le demi-jour découvrir un sentier qui est le vôtre et créer une élégie qui est vous-même. Vous avez donné à certains épanchemens de l’ame un accent nouveau. Votre vers, presque toujours douloureux, souvent profond, va chercher tous ceux qui souffrent, quels qu’ils soient, honorés ou déchus, bons ou méchans. Pour arriver jusqu’à eux, votre pensée se voile, car vous ne voulez pas troubler l’ombre où vous allez les trouver. Vous savez, vous poète, que ceux qui souffrent se retirent et se cachent avec je ne sais quel sentiment farouche et inquiet qui est de la honte dans les ames tombées et de la pudeur dans les ames pures. Vous le savez, et pour être un des leurs, vous vous enveloppez comme eux. De là une poésie pénétrante et timide à la fois, qui touche discrètement les fibres mystérieuses du cœur. Comme biographe,