Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en jeu ; et tous ceux qui étaient là, on peut le dire, désiraient beaucoup plus quelque brillant tournoi littéraire qu’une passe d’armes politique. M. Victor Hugo a eu la bonne inspiration de ne se souvenir qu’à de rares intervalles de sa candidature à la pairie, et nous n’avons pas eu le renouvellement de cette singulière et brillante séance académique dans laquelle l’héritier glorieux de Lemercier rejeta son sujet sur le second plan, et dérobant la politique à M. de Salvandy, qui le recevait, lui laissa la tâche piquante de parler de littérature. A la réception du successeur de M. Delavigne, il a été surtout question de M. Delavigne ; il y avait des poètes pour orateurs, et il a été question de poésie : cela n’arrive pas toujours. Les auditeurs, avec nous, se sont félicités de l’exception.

L’entrée de M. Sainte-Beuve à l’Académie offrait cela de particulier à l’attention, que deux écrivains de l’école nouvelle se trouvaient pour la première fois en présence devant la célèbre compagnie. A l’occasion de M. Saint-Marc Girardin, on avait pu se convaincre que l’illustre auteur de Notre-Dame de Paris ne se tirait pas avec une extrême souplesse de la délicate obligation d’introduire un contradicteur ; on se demandait s’il serait plus heureux à l’égard d’un ancien soldat de son propre camp, devenu général avec les années et maintenant chef d’une armée à part. Lui répéterait-il, comme dans les Odes et Ballades :

Que ta haute pensée accomplisse sa loi.
Viens, joins ta main de frère à ma main fraternelle.
Poète, prends ta lyre ; aigle, ouvre ta jeune aile ;
Étoile, étoile, lève-toi !


Lui dirait-il encore : « mon poète, » comme dans cette belle pièce des Feuilles d’automne, où il était parlé du

Doux luth de miel et d’ambroisie


de l’auteur des Consolations ? Voilà ce que les curieux se demandaient, et nous étions du nombre des curieux. L’embarras ne semblait pas moins grand, pour M. Victor Hugo, d’avoir à s’expliquer sur la portée littéraire de l’auteur de Louis XI, son compétiteur au théâtre. Quant au récipiendaire, on était moins inquiet de ce qu’il avait à dire sur M. Delavigne. Ce pouvoir en effet sympathique et rare de s’appliquer aux natures les plus diverses, de comprendre les genres et les écrivains les plus disparates, qui constitue l’art du critique, quelqu’un l’a-t-il