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avant les premières Odes de M. Victor Hugo ; comme poète dramatique, il avait tout de suite, dans la tragédie, essayé de continuer Andromaque par la pureté du style, Zaïre par le mouvement et l’intention philosophique ; dans la comédie, il avait ressaisi et fondu avec esprit et grace l’aimable genre de la Métromanie et du Méchant En un mot, c’était de nature un classique ingénieux, élégant, distingué, d’une imagination facile, qui tour à tour savait attraper avec un égal bonheur l’éloquence harmonieuse à la suite de Racine, le facile enjouement à côté de Gresset. Il semble que son entrée à l’Académie française, dans l’asile même et comme dans la citadelle (alors jugée imprenable) des traditions, aurait dû affermir à sa place M. Delavigne et l’éloigner moins que jamais de la route sûre où jusque-là il avait marché au milieu des applaudissemens. Ce fut l’opposé. D’autres eussent songé à dépouiller toute hérésie, même légère, sur le seuil orthodoxe de l’Institut : l’auteur des Vêpres Siciliennes, au contraire, prit possession du classique fauteuil en levant, pour la première fois en pareil lieu, la bannière de l’innovation. A dire vrai, il s’agissait d’une innovation bien modeste : l’honnête écrivain voulait viser désormais à un rôle intermédiaire, au rôle de conquérant pacifique, et il laissait deviner ses projets.

<pom>Aimons les nouveautés en novateurs prudens ;</poem>


le Victor de ses Comédiens avait déjà trahi le faible du poète à flatter le goût public, son penchant prochain à l’imitation discrète, à une sorte d’appropriation modérée des beautés hasardeuses qui allaient être risquées sur la scène. En 1825, c’est-à-dire avant Cromwell et Henri III, au moment même où paraissait Clara Gazul, M. Delavigne déclarait timidement à ses nouveaux confrères de l’Académie qu’il y avait des poètes décidés à s’ouvrir de nouveaux chemins, et que, malgré ce génie des tempêtes qui garde les mers inconnues de la poésie, on devait tenir compte de ces dispositions et y obéir… raisonnablement. Le rôle de Vespuce tentait M. Delavigne plus que celui de Colomb : aussi allait-il essayer Marino Faliero après lord Byron. Son discours de réception à l’Académie fut une sorte de programme de sa seconde manière ; mais comme le poète était encore indécis et flottant, sa prose terne, embarrassée, se ressentit des hésitations de la pensée ; pour la première fois, M. Delavigne eut peu de succès. C’était un signal de retraite, d’une retraite qui devait aussi être glorieuse.