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des feux ; il ne subit pas inévitablement les conséquences de l’échec qu’aurait éprouvé son voisin ; il a sa force en lui-même.

3° La cavalerie peut sortir et rentrer par les intervalles au moment opportun, sans rien déranger à l’harmonie du système.

Le 12 au soir, les officiers de l’ancienne cavalerie de la colonne offrirent à leurs camarades qui venaient d’arriver un grand punch. Le lit pittoresque de l’Ouerdefou, ruisseau sur le bord duquel nous étions campés, avait été artistement préparé et formait un jardin délicieux ; il était illuminé par toutes les bougies que l’on avait pu trouver dans le camp, et par quarante gamelles de punch dont la flamme bleue, se réfléchissant sur les feuillages divers, produisait un effet admirable.

Le maréchal avait été invité à cette fête de famille. Au premier verre de punch, il lui fut porté un toast qui lui fournit l’heureuse occasion de parler de la bataille qui se préparait ; il le fit avec tant de chaleur, que le plus grand enthousiasme se manifesta dans cette foule d’officiers jeunes et ardens. Ils se précipitèrent dans les bras les uns des autres, en jurant de faire tout pour mériter l’estime de leurs chefs et de leurs camarades ; ils se promirent de se secourir mutuellement, de régiment à régiment, d’escadron à escadron, de camarade à camarade. Des larmes, provoquées par le sentiment le plus vif de la gloire et de l’honneur, ruisselaient sur leurs longues moustaches. Jamais on ne vit une scène plus dramatique et plus touchante. « Ah ! s’écria le général, si un seul instant j’avais pu douter de la victoire, ce qui se passe en ce moment ferait disparaître toutes mes incertitudes. Avec des hommes comme vous on peut tout entreprendre. »

Il indiqua alors la marche progressive de la bataille, ses épisodes probables, ses résultats. Ses auditeurs se rappelleront toujours que les choses se sont passées exactement comme il les avait décrites[1].

Nous avons dit que l’on craignait que les Marocains ne voulussent pas accepter le combat ; dans le but de le leur rendre inévitable, nous feignîmes, le 13 au soir, de faire un grand fourrage, qui nous porta à quatre lieues en avant de notre camp. Comme nous avions souvent fourragé dans la même direction et presque à la même distance, il était à présumer que l’ennemi ne prendrait pas cela pour un mouvement offensif, et qu’ayant ainsi gagné quatre lieues, nous n’en aurions plus que quatre à faire pendant la nuit, de telle sorte qu’au

  1. C’est en sortant de cette scène qu’il écrivit la dépêche si remarquable dans laquelle il annonçait d’avance la victoire. (N. du D.)