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aidé de 3 à 4,000 Marocains qui l’accompagnaient en volontaires. La manière dont ils furent accueillis sur notre territoire, les dégoûta de ces entreprises. Nos plaintes à l’empereur furent réitérées ; on y répondit, avec la mauvaise foi punique, en nous accusant nous-mêmes d’avoir violé le territoire, mais en même temps on protestait du désir de maintenir la paix.

Le reste de l’année 1843 se passa sans hostilités ouvertes sur cette frontière ; mais Abd-el-Kader continua d’y recevoir une chaleureuse hospitalité, et il était évident que les Marocains avaient très peu de bienveillance pour nous. Indépendamment du fanatisme religieux et du sentiment national, ils nous voyaient avec inquiétude construire un poste à Lalla-Maghrania, à trois lieues sur la rive gauche de la Tafna, et à même distance de la frontière.

Cette attitude du Maroc éveilla l’attention de nos généraux ; néanmoins ils purent croire que ce système de malveillance et de perfidie pourrait se prolonger pendant long-temps encore avant de dégénérer en guerre ouverte. Dans l’expectative d’une éventualité qui pouvait se faire attendre long-temps, le gouverneur-général ne pouvait suspendre toutes les opérations nécessaires pour achever et consolider notre conquête.

Au printemps de 1844, le général de Lamoricière fit manœuvrer plusieurs colonnes pour obtenir la soumission de quelques tribus au sud de Mascara, au sud et au sud-ouest de Tlemcen. De sa personne, il se porta avec une colonne à Lalla-Maghrania, dans le but d’achever cet ouvrage, de prendre possession de tout le territoire de la frontière, et de forcer les tribus émigrées à rentrer en s’emparant de leurs récoltes.

Le colonel Eynard manœuvra entre Tiaret et Saïda.

Le général Marey poussa jusqu’à Leghouat, à cent trente lieues d’Alger, afin d’ouvrir à notre commerce une des routes à travers le Petit Désert, appelé ainsi, quoique très habité.

Dans l’est d’Alger, le pays soumis n’allait que jusqu’à l’Isser, c’est-à-dire à dix-huit lieues. Le gouverneur avait négocié tout l’hiver avec les tribus kabyles qui habitent les deux rives de l’Oued-Sebaou, sur le versant nord du Jurjura. Ces fiers montagnards avaient toujours répondu qu’ils ne se soumettraient qu’après avoir brûlé de la poudre. « Si nous nous soumettions avant, disaient-ils, nos femmes ne voudraient ni nous regarder ni nous préparer le couscoussou[1]. »

  1. Sorte de gruau préparé au beurre, cuit au bain-marie avec ou sans viande ; on l’assaisonne souvent avec du raisin sec, des dattes et des légumes.