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l’école spiritualiste. L’école matérialiste tient surtout aux gros bataillons, et elle croit que c’est toujours de leur côté que Dieu aime à se ranger. Il faut à cette école un matériel considérable ; elle aime l’artillerie et ne conçoit pas de campagne sans un équipage considérable. Elle a foi en la vertu de l’obéissance mécanique ; les soldats et les officiers sont, à ses yeux, des ressorts plus ou moins puissans, qu’il s’agit de faire jouer habilement. Un homme, quel qu’il soit, ne vaut qu’un autre homme ; les batailles ne sont que des chocs de forces opposées et non des luttes de sentimens. Peu lui importe que le soldat ait telle ou telle idée, telle ou telle disposition morale ; il suffit que le fusil soit bien chargé et bien manié. Telle n’est pas l’école que j’appelle spiritualiste ; elle s’inquiète beaucoup des dispositions de l’officier et du soldat. Elle cherche soigneusement à préparer les ames et les esprits d’une armée, croyant qu’un soldat bien persuadé de la supériorité qu’il a sur l’ennemi vaut deux soldats. Cette école croit donc à l’ascendant de l’esprit sur le corps, et c’est pour cela que nous l’appelons l’école spiritualiste. Peut-être ces dénominations philosophiques feront sourire les militaires qui nous liront, nous les croyons vraies cependant ; nous aimons à voir le maréchal Bugeaud, dans le récit qu’on va lire, faire, la veille même de la bataille d’Isly, aux officiers assemblés autour de lui, un cours de guerre, démontrant à l’avance et expliquant le combat qu’il va livrer. Nous ne voulons pas, au reste, gâter par un froid commentaire le récit de cette belle scène, cette fête offerte par les officiers de la division de l’ouest aux officiers des troupes arrivées avec le maréchal, cette soirée de bivouac et cette éloquence du maréchal Bugeaud qui, sans y penser et sans s’efforcer, atteint naturellement au sublime, lorsqu’il montre d’un mot aux soldats la supériorité d’une armée disciplinée sur une multitude confuse et désordonnée, en comparant l’armée disciplinée au vaisseau qui fend les flots de la mer, emblème à la fois simple et admirable de la force intelligente aux prises avec la force brutale.

Et ce n’est pas seulement au milieu de ses officiers que M. le maréchal Bugeaud professe hardiment ce spiritualisme de la guerre, ce n’est pas seulement à cette armée qui l’aime et qui l’admire, qu’il prédit la victoire et en démontre l’infaillible certitude. Il écrit en Europe avec la même assurance, et personne n’a oublié ce rapport rédigé la veille de la bataille et qui finissait ainsi : « J’ai environ 8,500 hommes d’infanterie, 1,400 chevaux réguliers, 400 irréguliers et 16 bouches à feu, dont 4 de campagne. C’est avec cette petite force numérique que nous allons attaquer cette multitude qui, selon tous les dires, compte 30,000 chevaux, 10,000 hommes d’infanterie, et 11 bouches à feu ; mais mon armée est pleine de confiance et d’ardeur elle compte sur la victoire tout comme son général. Si nous l’obtenons, ce sera un nouvel exemple que le succès n’est pas toujours du côté des gros bataillons, et l’on ne sera plus autorisé à dire que la guerre n’est qu’un jeu du hasard. » Ce n’est pas là seulement le langage d’un général sûr de la victoire ; c’est aussi, si nous ne nous trompons, le langage d’un chef d’école