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point de la comprimer. Elle ne lui contestera plus enfin le droit de se produire ; elle-même réglera l’exercice de ce droit, — le plus légitime que puissent revendiquer les peuples, puisqu’il est, après tout, la garantie de tous les autres, — en instituant de l’un à l’autre bout de l’île de sérieux ayuntamientos, des municipalités électives, à la Havane une sorte de conseil-général où, par leurs mandataires, planteurs, négocians, ouvriers, puissent exprimer leurs vœux et leurs espérances. Peu importera d’abord qu’un tel conseil soit une assemblée populaire ou seulement une assemblée de notables ; ce sera beaucoup déjà que l’Espagne se décide à le convoquer. Le gouvernement politique et militaire sera toujours exclusivement confié au gouverneur ; d’ici à long-temps, la part qu’on aura faite au colon dans l’administration du pays absorbera toute son activité, occupera toute son intelligence. L’Espagne, du reste, pourra facilement empêcher qu’entre les mains de son capitaine-général une si grande puissance ne devienne oppressive. Autrefois, quand les rois catholiques dominaient jusqu’aux extrémités du Nouveau-Monde, c’était un des traits distinctifs de leur politique d’envoyer, auprès des vice-rois une sorte de haut commissaire d’une probité reconnue, dont la seule présence.empêchait les exactions trop criantes. A moindres frais et d’une plus sûre façon, la reine constitutionnelle contrôlera les actes de ses lieutenans, à Cuba ; il suffira que les députés de l’île viennent, comme avant 1837, défendre les intérêts des colons aux cortès ; il suffira d’émanciper la presse à la Havane, à Santiago ; à Puerto-Principe, à la Trinidad. On ne rendra point la presse justiciable d’une jury créole, de qui sans doute il ne faudrait pas attendre une complète impartialité ; mais du moins elle n’aura pas dans les colonies une situation plus difficile que dans la Péninsule même, où de rigoureuses lois spéciales préviennent ou répriment jusqu’à ses moindres écarts. Arrêtons-nous pourtant, car, peut-être exprimons-nous là les vives espérances de la colonie bien plutôt que les réels projets de la métropole. Ces espérances seront-elles bientôt accueillies et réalisées par l’Espagne ? Nous le croyons ; selon toute apparence, l’Espagne ne veut point qu’un autre Haïti se fonde à Cuba ; elle ne, veut point, si la reine des Antilles ne doit pas être perdue pour la race blanche, que l’Anglais s’établisse à la Havane, comme en 1712 à Mahon et à Gibraltar.


XAVIER DURRIEU.