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celle des Canaries, par exemple, qui du moins suivent la fortune de la mère-patrie. Cette fortune, Puerto-Rico et Cuba l’ont suivie également jusqu’à cette ère libérale où l’Espagne est récemment entrée, durant tout le temps que les vastes domaines des rois catholiques se sont vus contraints de reconnaître le pouvoir absolu. A la mort de Ferdinand VII, ou plutôt à la chute de l’estatuto real, la métropole a brusquement refusé d’associer ses deux plus belles colonies à ses destinées constitutionnelles. Le vieux régime s’est maintenu à Cuba ; le capitaine-général de 1845 est le capitaine-général de 1792 ; le lieutenant d’Isabelle II aux Antilles ressemble de tout point à celui de Charles IV, à l’envoyé de don Manuel Godoy. A la Havane, le gouverneur réunit tous les pouvoirs imaginables, législatif, administratif, exécutif, militaire, judiciaire, ecclésiastique, oui, ecclésiastique, car, en sa qualité de vice-patron religieux des Indes, il est appelé à contrôler les deux évêques de l’île, ni plus ni moins que ses officiers subalternes. De sa volonté arbitraire et irresponsable dépendent la liberté, la fortune, la vie même de ses vassaux, qui ne sont protégés ni par la représentation directe aux cortès, ni par des ayuntamientos d’élection populaire, de vraies corporations municipales, qu’on puisse prendre au sérieux, ni par la liberté de la presse. A Cuba, la presse est livrée à une triple censure préalable, censure inintelligente et tracassière, qui s’exerce, non-seulement sur tout ce qui se publie dans l’île, mais sur les livres qui arrivent de l’étranger. Il y a quelques années à peine, le gouvernement de Madrid y avait peur à tel point du progrès des lumières, qu’il s’opposait à la fondation des lycées et des écoles ; quatre-vingt-dix mille enfans y végétaient sans éducation. L’Espagne levait pourtant sur sa colonie un tribut annuel de 12,000,000 de duros (60,000,000 de fr.), dont le quart entrait, comme aujourd’hui même, dans les caisses du trésor à Madrid ; 36 millions de francs servaient et servent encore à équiper la nombreuse armée qui tient garnison dans les Antilles, la coûteuse marine qui en défend les côtes ; mais sur les 12 millions de francs qui, tous les ans, sont expédiés pour Madrid, eût-ce donc été trop que de prélever à Cuba quelques milliers de duros pour fonder sérieusement et entretenir l’enseignement public à tous les degrés ?

Une telle situation n’est plus tolérable. Sur ce point, le livre de M. Saco doit entraîner à Madrid toutes les convictions. L’Espagne, qui ne voit plus de péril pour elle dans les progrès de la colonisation blanche, ne peut plus vouloir et ne veut plus que l’île de Cuba demeure soumise au gouvernement absolu d’un soldat. L’Espagne essaiera d’y former, d’y élever l’opinion par l’instruction publique ; la force que l’opinion y doit prochainement conquérir, l’Espagne n’entreprendra