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c’est une cour plus brillante, plus soumise, plus corrompue surtout que celle de la reine à Madrid. Corrompu lui-même par les maximes de gouvernement et d’administration qu’il entend de toutes parts professer, ébloui de tant d’éclat, enivré de jouissances tardives, d’autant plus vives qu’il les a plus long-temps ambitionnées, comment repousserait-il les offres du négrier qui, moyennant une demi-once d’or (40 francs) par tête de noir, achète sa protection et son appui formel ? Désormais, il n’entre pas dans l’île une seule cargaison d’esclaves qui ne lui rapporte deux ou trois cents onces (16,000 ou 24,000 francs). C’est un continuel torrent de doublons et de quadruples qui se vont engouffrer dans ses coffres. Peu lui importe que l’effroyable accroissement de la race noire doive un jour entraîner la complète ruine de la race blanche : au moment où éclatera la catastrophe, depuis longtemps déjà il aura déposé le commandement. Favoriser la traite et tous ses abus, c’est le moyen de s’enrichir plus vite, c’est-à-dire d’aller plus tôt jouir, dans la mère-patrie, de cette opulence qui tout à coup lui survient. Adieu donc les derniers scrupules, adieu la vieille probité du soldat, l’honneur et la dignité du haut grade, adieu la proverbiale loyauté castillane ! Le hautain général des guerres de l’indépendance, le chevalier de Calatrava et de Saint-Jacques, grand’croix de Charles III et d’Isabelle-la-Catholique, grand d’Espagne peut-être et à coup sûr sénateur ou procer du royaume, n’est plus qu’un prévaricateur insatiable, le patron suborné d’un misérable pirate, d’un marchand d’hommes, ce rebut des contrebandiers !

Hâtons-nous de rendre justice aux derniers capitaines-généraux de Cuba, qui du moins ne sont pas tombés dans une telle abjection, au général Valdez surtout, qui, au besoin, vendait les glands d’or de son écharpe, pour venir en aide à la veuve du soldat. Quant au gouverneur actuel, don Léopoldo O’Donnell, nous aimons à croire qu’il a su se préserver aussi de cette corruption endémique ; mais, en vérité, ce n’est pas dans les hommes, c’est dans les institutions que se doivent trouver les garanties. Or, on aura beau multiplier les croiseurs sur les côtes, on aura beau promulguer les plus sévères lois contre la traite : s’il convient plus tard à un capitaine-général que la traite se fasse, la traite continuera, en dépit de toute la marine anglaise, en dépit de tous les hommes d’état, de tous les législateurs de Madrid. Sur tous les points des deux hémisphères, dans la Péninsule, au Mexique, dans l’Amérique méridionale, partout la race espagnole s’initie enfin à la liberté politique, partout, excepté à Puerto-Rico et à Cuba. La situation de Puerto-Rico et de Cuba est même plus défavorable que celle des autres colonies espagnoles,