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les côtes, gênent encore la navigation ; que les transports enfin deviennent aussi faciles, aussi peu coûteux que possible : on sera bientôt dédommagé de toutes ces dépenses par les prodigieux développemens que l’industrie et le commerce ne peuvent manquer de prendre. Le rapide accroissement de la consommation comblerait vingt fois pour le moins dans les caisses du trésor public le vide que le dégrèvement de l’impôt aurait pu y creuser.

M. Saco s’arrête avec bonheur à décrire le nouvel aspect que, par le travail libre, prendraient infailliblement les admirables campagnes de l’île. Ici vraiment on serait un moment tenté de croire que le publiciste a fait place au poète. Rien de plus riche ni de plus éclatant que ce tableau de la future prospérité des Antilles, où resplendit le soleil de l’Atlantique, non plus sur des déserts ou de vastes domaines dont les maîtres ne peuvent, faute de bras, exploiter la meilleure part, mais sur les plantations innombrables, les petites propriétés cultivées jusque dans les moindres recoins, que le travail libre créerait à Cuba, comme, au fond de l’Asie, il les a créées déjà dans les colonies hollandaises de Java, de Manille et de Singapour. Regardez sans crainte pourtant ; si vives que soient les couleurs, M. Saco n’a pas voulu porter atteinte à la réalité austère du fond. S’il se complaît à mettre en plein relief les vrais prodiges qu’une vaste et intelligente culture, soutenue, fécondée par l’association, enfanterait aux Antilles, si de son long exil, des vicissitudes qui ont éprouvé son courage et son patriotisme, il se console par une calme et fière contemplation de l’avenir, M. Saco ne perd pas un instant de vue les embarras du présent. Ce qu’il désire avant tout, c’est qu’on en finisse avec la traite, qui aujourd’hui paralyse complètement la colonisation européenne ; c’est que le travail libre, qui tôt ou tard doit remplacer le travail des esclaves, reçoive enfin de sérieux encouragemens. De tous ces encouragemens, c’est l’abolition même de la traite qui sans aucun doute sera le plus puissant, le plus efficace. Sur ce point, une statistique rigoureuse autorise toutes les espérances du publiciste. A deux reprises, en 1807 et en 1834, le parlement anglais a fait publier de complets documens sur la situation de ses colonies d’Amérique. En 1807, au moment où l’on allait supprimer la traite, on calculait qu’en six ans, de 1801 à 1806, l’industrie sucrière avait produit 1,138,390,736 kilogrammes. Dans le même espace de temps, de 1829 à 1834, vingt-deux ans après la suppression du trafic des nègres, ce même produit s’élevait à 1,190,990,556 kilogrammes environ. Dans les colonies françaises, à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane, à Bourbon, la traite, bien que prohibée dès 1814, n’a cessé de fait qu’en 1832. Ici encore nous n’avons qu’à