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s’il s’était abaissé à travailler comme le peau rouge et le noir. Pourtant, en 1517 déjà, à l’époque précisément où le noir a remplacé le peau rouge, on songeait à maintenir l’équilibre entre la population blanche et la population venue d’Afrique. Communautés religieuses récemment établies dans les Indes, gouverneurs-généraux, employés civils et militaires, tout le monde suppliait le roi catholique d’envoyer aux : îles des laboureurs de Castille ; la fière Castille fermant l’oreille, c’est au reste de l’Europe qu’on faisait appel, absolument comme de nos jours le font les planteurs de Cuba. A Cuba, la colonisation a commencé en 1511 ; deux cent soixante-trois ans plus tard, en 1774, la population blanche s’y élevait à peine à 96 mille ames. En 1841, soixante-six ans seulement après le recensement de 1774, elle comptait 418 mille personnes. La population totale de l’île était naguère d’environ 1,007,624 personnes, 418,291 blancs, 436,495 esclaves, et 152,838 hommes de couleur. Il suffit de rapprocher ces chiffres pour voir à quel point la population blanche est débordée par les hommes de couleur et les esclaves dont le nombre, d’ailleurs, va de jour en jour augmentant.

En vérité, si c’est principalement par le climat qu’on s’explique les destinées de la population blanche aux Antilles, on lui impute, ce nous semble, de bien singuliers caprices. Comment, de 1774 à 1841, a-t-il pu si énergiquement la favoriser, après l’avoir, pendant deux cent soixante-trois ans, forcée à demeurer stationnaire ? Qu’on ne cherche plus, enfin, à faire prendre le change sur les causes de ses progrès et de sa décadence, L’histoire de Cuba s’explique par l’histoire même d’Espagne, comme celle de la Jamaïque ou des Barbades par l’histoire de l’Angleterre. Jusqu’à Charles III, ce grand prince qui a eu trois Colbert, les trois comtes d’Aranda, de Florida-Blanca et de Campomanès, l’île de Cuba était livrée aux monopoleurs de Cadix et de Séville : le moyen que la colonisation européenne s’y pût librement développer ! Charles III abolit l’incroyable privilège de Séville et de Cadix : treize ports, dans la Péninsule, furent à la fois autorisés à commercer avec le Nouveau-Monde. Plus heureuse que ses sœurs des Antilles et les autres colonies de l’Espagne, l’île de Cuba finit même par obtenir la liberté absolue du commerce. Avec l’Union naissante, avec la France, et le monde civilisé tout entier, elle établit des relations aussi nombreuses, plus nombreuses peut-être qu’avec la mère-patrie. Voilà pourquoi, un demi-siècle après, la population blanche était devenue déjà cinq fois plus considérable. C’est au régime constitutionnel à poursuivre et à consommer l’œuvre de Charles III, aujourd’hui, en supprimant la traite, plus tard, du moment où une telle mesure ne pourra