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et en même temps les nègres qui expirent dans la cale des négriers ou dans les habitations de l’île, et vous verrez encore si, entre les deux races, la terrible balance ne penche pas en faveur des blancs.

On se ferait difficilement une idée de la force qu’a conservée aux Antilles même le préjugé qui interdit au blanc les industries pénibles. Il y a quelques années, on s’était imaginé aussi que le noir seul pourrait résister au service des machines sur les bateaux à vapeur anglais ; il a fallu que la plus douloureuse expérience prouvât précisément tout le contraire, c’est-à-dire que le blanc y était incomparablement plus apte que le noir. Remontez à l’origine de toutes les colonies européennes, vous aurez bientôt la conviction que le climat n’a jamais été pour rien dans le progrès ou la décadence de leur population blanche. Au XVIIe siècle, c’étaient des Normands qui suffisaient à tous les travaux dans les îles françaises. Cinquante ans plus tard, les Normands eux-mêmes s’étaient rebutés comme tous les autres ouvriers européens. Ce n’est point devant la fièvre ni devant les chaleurs qu’ils se retirèrent, mais devant les abus de l’administration, devant le régime intolérable qui alors pesait sur les colons, devant la concurrence de l’industrie négrière, qui assurait de si exorbitans profits, et au trafiquant qui vendait l’esclave, et au planteur qui l’achetait. Suivez l’analogie pour toutes les autres Antilles, la Jamaïque, Grenade et les Grenadines, Saint-Christophe, la Dominique, les Barbades, pour toutes les îles enfin de l’archipel atlantique. Partout vous serez contraint de reconnaître que le climat est hors de question. Partout la décadence de la race blanche tient à des causes purement politiques, à l’oppression de la métropole, aux tributs écrasans, aux prohibitions industrielles et commerciales, aux tentatives d’émancipation déjouées et sévèrement réprimées, à la piraterie, au brigandage des forbans, aux guerres civiles, aux émigrations en masse. Les révolutions de la Grande-Bretagne avaient jeté un grand nombre de familles anglaises dans les Barbades ; ce n’est point le climat, mais bien Charles II, qui, par son fameux acte de navigation, a dépeuplé ce riant archipel.

L’Espagne, qui, dans le nouvel hémisphère, a guidé l’Europe entière, a aussi donné l’exemple de la colonisation blanche ; ce sont les soldats de Colomb, d’Almagro, de Pizarre, qui d’abord ont desséché les lacs, dompté les fleuves, ouvert les routes, bâti les villes et les forteresses. Plus tard, le colon espagnol ne fut plus qu’un officier de fortune, un parvenu fainéant, un cadet de famille soudainement enrichi par le revenu des mines et l’exploitation des races asservies ; il eût cru lui-même se marquer au front du sceau de l’infamie et de l’abjection sociale,