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l’administration intérieure des colonies espagnoles ? Si, en dépit des concessions que vient de lui faire le cabinet de Madrid, elle intriguait encore à Cuba par ses agens diplomatiques, la Grande-Bretagne démasquerait ses intentions les plus secrètes, et alors, à défaut de l’Espagne, ce serait à la France et aux États-Unis d’aviser.

Immédiatement après le vote du congrès qui a formellement supprimé la traite, M. Martinez de la Rosa a prescrit à tous les ambassadeurs d’Espagne, à tous les envoyés de la reine Isabelle, à tous ses représentans en Europe, de favoriser le plus possible l’émigration dans les Antilles. Ce n’est point la première fois que le gouvernement de Madrid offre des conditions avantageuses aux Européens industrieux et de bonne volonté qui, dans les colonies espagnoles, s’associeraient à la fortune et à l’avenir de la population blanche : jusqu’à ce jour pourtant, de telles conditions ne pouvaient être acceptées. En 1775, à Cuba, sur cent habitans, on pouvait encore compter cinquante-six personnes de race blanche ; un demi-siècle après tout au plus, c’étaient les noirs qui formaient le plus grand nombre : c’est à peine si sur cent personnes on trouvait quarante-quatre blancs Et ce n’est pas tout de jour en jour, la disproportion devenait plus effrayante ; la population noire s’accroissait à tel point que, dans quelques années peut-être, on n’aurait pas pu décider un seul Européen à se venir fixer dans la plus belle, dans la plus prospère des colonies qui jamais aient reconnu la domination des rois catholiques. De 1835 à 1839, trente-cinq mille passagers blancs ont débarqué à la Havane, où prennent terre les émigrans d’Europe ; durant le même espace de temps, soixante-trois mille nègres d’Afrique avaient été jetés sur la côte occidentale de l’île, et ce n’était pas là le seul point par où les négriers pussent exercer leur odieuse industrie. Pour notre compte, à ne considérer que la situation actuelle, nous ne pouvons comprendre que le gouvernement espagnol se soit aperçu si tard du péril auquel l’incurie des précédens régimes abandonnait les colons. Jetez un coup d’œil sur les pays qui environnent Cuba, partout c’est sur des ennemis, et des ennemis de race noire, que vos regards vont tomber. Tout à l’entour de Cuba, la race noire forme comme de sombres nuées d’où l’extermination pourrait dès demain sortir, si dès demain les liens étaient rompus entre les colons d’Espagne et leurs frères d’Europe. À l’orient, la république militaire d’Haïti, soutenue par les marchands d’Angleterre, discipline en silence ses bataillons déguenillés, mais tout pleins de cette énergie, de cette bravoure sauvage qui bouillonne encore et s’exalte au souvenir des luttes si vaillamment, si cruellement engagées par leurs pères, et où