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amères, enfin tout un succès agité, tumultueux, qui a été comme un évènement pour l’Allemagne.

On entrevoit en effet, dans ce livre, ce que pourrait être une opposition sérieuse, intelligente, et quelle influence elle obtiendrait bientôt, si elle s’attachait à des doctrines précises, à des principes nettement définis. Le mouvement constitutionnel, qui est au fond des esprits, a été comme révélé et mis en lumière par l’enthousiasme que ce manifeste a provoqué. Il existe en Prusse, chez une partie considérable de la nation, un fonds d’idées libérales, d’instincts généreux, d’espérances légitimes, qu’il s’agit d’encourager et de fortifier chaque jour. C’est là que doit se porter tout l’effort des publicistes. On peut affirmer que, malgré le tumulte assez incohérent de sa littérature politique, malgré la fièvre qui la tourmente, l’Allemagne, la Prusse surtout, verrait enfin se former cette opposition ferme et réfléchie dont les services lui seraient si utiles pour la transformation morale commencée sous nos yeux. Il n’y a que trop de griefs clairs et positifs ; comment serait-il difficile de formuler un programme auquel se rallieraient tant d’esprits généreux, qui, jetés sans guide dans des routes diverses, cherchent follement l’impossible ? On a vu toute une armée se mettre en marche pour la conquête d’une société nouvelle ; les cœurs étaient résolus, les armes étaient prêtes ; une seule chose avait été oubliée, on n’avait pas de drapeau. De là, comme on pense, l’indiscipline, les désertions, les pillages, les folles aventures ; ne serait-il pas bien temps d’y songer ?

On sait quels sont les principaux points de ce programme, une constitution, la responsabilité des ministres, la liberté de la presse, la publicité et l’indépendance des tribunaux ; mais on est trop porté à perdre de vue ce but solennel qu’il importe, au contraire, de contempler et de poursuivre sans cesse. Au moment où il se vante si haut d’être entré dans la vie pratique, l’esprit allemand prouve beaucoup trop combien c’est pour lui une tâche difficile. Ce converti de la veille, ce néophyte fougueux, oubliera demain sa foi et ses engagemens. Ce disciple nouveau de la réalité retournera dans une heure à toutes ses fantaisies. C’étaient hier des fantaisies métaphysiques ; ce sont aujourd’hui des fantaisies sociales. Le sujet seulement est changé ; mais où est donc cette pensée pratique dont on est si fier ? Attachez-vous à une série de principes : établis dans cette citadelle, vous tiendrez sûrement la campagne. M. Freiligrath a réveillé l’attention publique quand il a chanté le droit commun et signalé les crimes d’une législation barbare. S’il avait eu le bonheur de consacrer