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galamment son bras ; puis les Guêpes, puis les Captifs, joyeux d’être enfin délivrés, et saluant le gracieux souverain qui les rend à la lumière. « Hélas ! répond le groupe des mécontens, il y en a bien d’autres qu’on pourrait délivrer aussi ! » Cependant le bruit s’accroît, et le chat botté commence à se plaindre du vacarme. Quelle foule ! quelle cohue ! quel tapage ! On ne pourra plus entendre ses fines lectures ! Sa poésie à la voix grêle, ses graces subtiles, ses élégances du siècle dernier, qui les goûtera désormais ? Le persiflage se prolonge ainsi fort long-temps, car, après, les poètes, après M. Tieck et son cortège, défile toute la procession officielle, magistrats, censeurs, conseillers auliques, ministres même, jusqu’à ce que le soleil se lève sur le Brocken, et qu’une matinée de mai dissipe ces ombres du passé. L’invention, il faut l’avouer, est assez plaisante ; c’est tout-à-fait une satire dans le goût allemand, et je ne nierai point ce qu’il y a de vif et de piquant dans une telle mascarade de la cour de Berlin. Le trait final n’est pas le moins heureux : le poète a osé dire tout haut que cette assemblée, si noble d’ailleurs et si illustre, ne représente que le passé de l’Allemagne, et point du tout les désirs, les espérances des générations nouvelles. Je n’affirmerai pas durement avec M. Freiligrath que ce sont là des ombres que l’aube dissipera ; mais enfin, cela est trop évident, le soleil se lève ailleurs, et il éclaire déjà d’autres horizons. On peut donc accepter le tableau railleur tracé par le poète ; il a suivi Goethe, et, soutenu par le maître, il a su échapper à ce mauvais goût, qui semble la condamnation de sa muse toutes les fois qu’elle se veut contraindre à une gaieté factice. Seulement, tout en admettant l’intérêt littéraire de cette brillante mise en scène, j’ai bien des doutes sur sa convenance morale. Ces railleries sont justes ; mais était-ce à M. Freiligrath qu’il appartenait de s’y jouer si cruellement ? Était-ce à un ami de la veille, à un disciple émancipé, de persifler ainsi le bon et spirituel vieillard dont le dilettantisme aimable représente si gracieusement, jusqu’au dernier jour, une poésie qui va mourir ? Une telle promptitude à renier ses affections semble plus choquante encore, lorsqu’on vient de lire, dans le recueil même de M. Freiligrath, les vers si sincèrement émus qu’il consacre à la poésie romantique. Dans ces beaux vers, il indique avec noblesse la situation de sa pensée ; il dit adieu à la muse de Tieck, d’Arnim, de Brentano, d’Uhland, à cette école superficielle sans doute, mais aimable et affectueuse. Bien qu’elle ait voulu endormir l’Allemagne dans les rêveries du moyen-âge, il n’oublie pas ce qu’elle a eu de grace et de tristesse, et il salue avec émotion, en la quittant,