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la cellule du fou, celui-ci est debout, tout droit, immobile comme une statue de pierre. Pas un signe, pas un mouvement. Son regard étincelant est fixe comme celui de Macbeth quand l’ombre de Banco se dresse devant lui. Puis la vie éclate tout à coup dans cette pierre froide ; les vengeurs qu’il apercevait de loin s’approchent et l’entourent, il voit briller des épées, il voit s’agiter des flammes ; la lutte commence. Il croyait les avoir bien tués : puisqu’ils ressuscitent malgré tant de coups dont il les a frappés, cette fois sa main sera plus ferme ; mais les anges sourient gravement, et lui disent qu’on ne tue pas l’esprit. Sa raison s’égare de plus en plus, il s’emporte en imprécations, en blasphèmes, il veut anéantir une fois pour toutes cet ennemi qui toujours reparaît ; alors la Vérité lui flagelle le visage, et il tombe sur son lit en demandant grace. « Silence ! dit le poète, ne le jugeons pas ; ce malheureux n’était qu’un instrument. Il n’y a de place en mon cœur que pour la pitié. » Le tableau tracé par l’auteur est plein de poésie ; je crois cependant qu’il a mis trop de colère dans ses peintures. Le drame est trop vif ; M. Freiligrath a dépensé inutilement une énergie qui aurait été mieux employée ailleurs. Tout esprit juste y doit sentir une exagération qui le blessera. Malgré toutes les haines qu’elle provoque, malgré le mal qu’elle fait, la censure, même en Allemagne, n’a plus cette puissance cruelle que le poète a éloquemment châtiée, et ce n’est pas sur ce ton qu’il faut la poursuivre. Aux plus mauvais jours de l’ancienne société, sous la tyrannie religieuse, quand le censeur avait le bourreau pour auxiliaire, quand le bûcher attendait le livre et l’écrivain, ces fortes images n’auraient rien dit de trop. Si, au lieu du censeur de Cologne ou de Berlin, vous me montrez dans cette prison le persécuteur de Bruno ou de Galilée, le président de ce parlement qui a brûlé Vanini, certes j’approuverai cette vigoureuse peinture, je comprendrai ces remords sanglans qui l’agitent, ces visions épouvantables qui le viennent assaillir, et ce fouet de lumière avec lequel la Vérité flagelle le visage du meurtrier me représentera l’avènement prochain, la prochaine victoire de cet esprit nouveau qu’il a voulu tuer. Toutes ces inventions placées en leur lieu, éclairées du jour qui leur convient, pourront être vraiment belles, et l’auteur aura le droit de rappeler, comme il le fait, ce grand souvenir poétique de Macbeth et de Banco. Mais aujourd’hui, avouons-le, les choses sont un peu changées. Le formidable inquisiteur de Philippe II est devenu le censeur très ridicule du roi de Prusse, et il est si facile de tromper sa vigilance ! Il semble même que cette tactique doive être un attrait pour les esprits souples et alertes ; nos écrivains du XVIIIe siècle s’y