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on ne conteste pas les devoirs réciproques des hommes réunis en société, les conditions nécessaires du droit commun, on ne réclame pas l’irrégulière indépendance de l’état de nature ; mais cependant, comme ce souvenir naïf des libertés primitives, évoqué dans un vieux refrain populaire, ajoute ici par le contraste à l’émotion très légitime que le poète a voulu produire ! Je ne sais si je m’abuse, mais je crois que ces sortes de ballades sont, dans la poésie politique de l’Allemagne, une nouveauté habile et hardie, une bonne et franche inspiration. Béranger a chanté aussi le braconnier, et sa pauvre femme qui traîne ses trois enfans dans les bois, tandis que le mari est sous les verrous ; il a chanté Jeanne la rousse, avec quelle grace, on le sait, et de quelle voix attendrie !

Un enfant dort à sa mamelle,
Elle en porte un autre à son dos ;
L’aîné qu’elle traîne après elle
Gèle pieds nus dans ses sabots.
Hélas ! des gardes qu’il courrouce,
Au loin le père est prisonnier.
Dieu ! veillez sur Jeanne la rousse ;
On a surpris le braconnier.


Le sujet pourtant n’est pas tout-à-fait le même. Il devait y avoir quelque chose de plus dans l’écrivain allemand, sous une législation bien différente. Ce ne pouvait plus être seulement la sympathie involontaire du poète pour le braconnier, le contrebandier, le bohémien, pour tous les révoltés et leur libre vie. Au lieu de cette sympathie tout idéale, laquelle est bien de mise en poésie, il fallait qu’on trouvât dans ses vers un sentiment très réel, une protection vigoureuse et directe, et que le poète osât dénoncer le crime d’une loi inique. M. Freiligrath y a réussi, et nous lui souhaitons de persister dans cette voie. Cette défense du droit mérite que des écrivains tels que lui y consacrent leur talent. C’est là de la poésie politique, démocratique, dans le meilleur sens du mot ; je veux dire une poésie librement inspirée, passionnément sensible aux maux de l’humanité, et dont les accens généreux doivent servir la cause sainte du bien et de l’honnête. Il est permis peut-être de louer avec quelque vivacité cette direction salutaire de la pensée, car aujourd’hui, au milieu des paradoxes d’une littérature épuisée, l’amour simple du vrai, loin de ressembler à un lieu commun, a presque l’attrait d’une nouveauté courageuse. N’avons-nous pas vu dernièrement un romancier aux abois entreprendre une tâche toute contraire ? En France, cinquante années