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les verrous l’heure du jugement qu’il sollicite et que l’Allemagne entière réclame pour lui, sa femme et ses enfans demeurent privés de toutes ressources, et sans les secours de la bienfaisance publique, cette détresse allait aux dernières extrémités. Cependant un des enfans de Jourdan, une toute jeune fille, vient de mourir l’an dernier au milieu de cette effroyable misère. C’est elle que le poète conduit au ciel dans l’assemblée des grands citoyens du pays, et celui qui la reçoit, à côté de Schiller, à côté de Schubart, c’est le fier et courageux Seume, né, comme Jourdan, dans le duché de Hesse, et exilé, il y a cinquante ans, par ceux qui emprisonnent aujourd’hui le noble publiciste.


« Une jeune ame s’envola vers le ciel ; d’un vol léger elle monta ; c’était presque un enfant encore, pure, sans tache ; elle entra timidement par les portes d’or.

« Ah ! c’est la fille du patriote. » Un murmure court çà et là dans la nue. Parmi les morts d’Allemagne, les meilleurs se lèvent et s’empressent à sa rencontre.

« Voici venir le noble et ferme Seume, l’homme de la liberté et de la poésie ; Schiller se hâte à travers les lumineux espaces ; puis Hutten, puis Schubart. — Tous, tous, ils arrivent.

« Ils la contemplent avec une ineffable douleur, ils la saluent (ah ! combien d’amour, de respect et de douceur !), et, sans dire un mot, leurs regards, inquiets interrogent son visage, son douloureux sourire.

« Mais elle, elle incline la tête, elle baisse les yeux, elle reste là, tremblante et brisée ; de chaudes larmes coulent de ses yeux, que n’a pu fermer la main paternelle.

« Voyez alors le noble Seume, comme son poing tremble malgré lui ! Comme les veines se gonflent sur le front large et sombre de Schubart ! — La liberté n’existe que dans le royaume des songes, dit Schiller plein d’une colère amère.

« Mais Seume : « Jeune fille, console-toi ! la mort aussi, tu le sais, est un libérateur ! Qu’ils bâtissent des prisons, qu’ils forgent des chaînes ; ton père sera libre avec les hommes libres.

« Libre, vers moi, vers nous, il viendra un jour. Lui aussi, il sera mort pour la patrie ! Lui aussi, il sera une lumière sacrée vers laquelle, durant la tempête, les Allemands élèveront leurs sœurs et tendront les mains.

« Avec quel orgueil son ame épuisée se reposera ! Ce sera son premier repos, je le sais ! Prie pour qu’il meure ! prie, enfant ! Je connais les puissans dont l’iniquité a brisé ses forces.

« Ceux qui le tiennent dans l’étroit cachot sont ceux qui me poussaient jadis, loin de ma patrie, dans l’immense univers. C’est la même race de tyrans. Ne t’a-t-on point parlé de Seume, qui s’embarqua pour la Nouvelle-Hollande ?