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plus imprudente, que sérieuse et féconde. Au lieu d’un encouragement salutaire, comment y voir autre chose qu’un défi ? Le vrai signe de la supériorité que conserve l’Allemagne du nord, c’est le bruit qui se fait autour d’elle, ce sont les attaques dirigées contre son gouvernement ; ce sont tant d’appels, tant de colères, tant de vives et solennelles réclamations adressées directement au roi de Prusse.

Si le gouvernement prussien pouvait penser que les promesses faites par Frédéric-Guillaume III sont la seule cause de l’agitation toujours croissante des esprits ; s’il pouvait croire que tout serait calme sans le contrat passé en 1813, il méconnaîtrait ce qui fait la grandeur et l’autorité de son pays. A mesure que les principes de la révolution française se propagent au-delà du Rhin, il est nécessaire que la Prusse reçoive toutes les pétitions de l’esprit moderne, et quand même, il y a trente années, un serment n’eût pas été prêté dans le péril commun, ce serait toujours à elle qu’il faudrait demander ces libertés qu’on invoque. Pourquoi cela ? Parce que toute la culture philosophique, parce que toute la vie de l’intelligence est depuis long-temps dans l’Allemagne du nord. Là où la pensée est vivante, là aussi doivent se porter les efforts des partis. Sérieusement, que pourrait-on demander à Munich ou à Vienne ? Le caractère le plus honorable de l’administration du feu roi, c’était, on le sait, sa foi dans l’intelligence, son respect pour les droits de la raison. Ce fut une noble action, après Iéna, de s’appuyer, pour relever la monarchie abattue, sur toutes les forces de l’esprit ; ce fut aussi une bonne politique. Jamais la pensée ne fut plus libre, plus puissante, et, pour prix de cette liberté, elle ressuscita tout un peuple qui avait failli disparaître. On connaît assez la période héroïque de l’université de Berlin ; les noms de Fichte et de Hegel disent tout. Or, ce libre développement intellectuel devait amener de grandes conséquences ; la Prusse est restée chargée des destinées de l’Allemagne, et plus l’esprit moderne s’affermira dans ce pays, plus aussi on exigera du cabinet de Berlin la consécration des libertés nouvelles. C’est là un rôle difficile peut-être pour les gouvernans ; cette gloire les embarrasse ; ils s’en passeraient volontiers, et en secret, bien souvent, ne se repentent-ils pas de la politique de Frédéric-Guillaume III ? S’ils osent avoir cette pensée, la plus vulgaire prudence leur conseille de n’en rien laisser paraître. Malheur à l’état qui regrette la gloire de son peuple, à cause des solennels engagemens qu’elle lui impose ! Regret inutile d’ailleurs, et absurde autant qu’il serait coupable. Le nouveau règne ne réussirait pas à diminuer cette vigueur intellectuelle des états du nord, et, par suite, à affaiblir