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discrétion à diriger dans ce sens l’activité de la France, contraint, pour cela, de soutenir des luttes quotidiennes avec les membres les plus considérables de son conseil. Villeroy et ses vieux collègues persistaient, avec la nation presque tout entière, à considérer comme une sorte d’article de foi le maintien des bons rapports avec l’Espagne, afin de résister aux puissances protestantes et aux tentatives insurrectionnelles de l’intérieur. Le grand parti espagnol exerçait alors en Europe une influence sans limites. En France, il eut pour chef Marie de Médicis jusqu’au ministère de Richelieu, et l’épouse même de Jacques Ier professait avec éclat les mêmes sentimens au milieu de l’Angleterre protestante. Aucun prince de la chrétienté ne rougissait dans ce siècle de s’avouer pensionnaire du roi catholique, et le souvenir de Charles-Quint semblait encore tenir le monde dans une respectueuse déférence.

Le surintendant des finances était le seul ministre qui osât appuyer les vues novatrices du monarque, et qui ne craignît pas d’aller jeter en Angleterre les bases d’un traité en faveur des Provinces-Unies et d’une alliance éventuelle contre l’Espagne et l’empire ; mais Sully était protestant, et ses croyances religieuses expliquaient ses inclinations politiques. Une telle interprétation donnée aux vues de Henri IV l’aurait perdu dans l’opinion de ses peuples non moins que dans celle du monde catholique. L’œuvre la plus haute de sa politique fut assurément de poursuivre la réalisation de ces pensées en y faisant incliner la cour de Rome elle-même, et en reprenant à la tête du catholicisme une position assez forte pour faire tomber toutes les calomnies en écartant tous les soupçons. D’Ossat exploita avec une rare habileté les traditions de la chancellerie romaine et les intérêts temporels du saint-siège en Italie, en concurrence, sur presque tous les points, avec ceux de l’Espagne[1]. Aussi, dans les difficiles négociations relatives au marquisat de Salaces et à l’édit de Nantes, dans l’affaire plus délicate encore de la dispense à obtenir pour le mariage de la duchesse de Bar, sœur du roi, Rome se montra-t-elle, durant ce règne, aussi dévouée à la politique de la France qu’à la personne du monarque. Ainsi appuyé du saint-siège, sur lequel il avait fait monter par son intervention deux pontifes qui lui durent la tiare[2], entouré des jésuites rappelés par lui, et qui rendaient témoignage de son orthodoxie

  1. Voyez surtout, dans la correspondance du cardinal d’Ossat, le beau mémoire intitulé : Avis sur la guerre de Savoie, 6 septembre 1600.
  2. Léon XI, cardinal de Médicis, et Paul V, cardinal Borghèse. « Le pape Léon XI, dit avec aigreur le chef irrité des calvinistes, avait coûté au roi trois cent mille écus à faire. » (Vie de Duplessis-Mornay, liv. II, p. 305.)