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violences, mais du sein des forces monarchiques qu’il essayait si péniblement de grouper autour du trône, alors il se montrait inflexible presque jusqu’à la cruauté. Que sont les exécutions de Montmorency et de Cinq-Mars auprès de celle du maréchal de Biron, et lequel de Richelieu ou de Henri IV a subi les plus dures nécessités de la politique ? Montmorency avait été pris les armes à la main ; Cinq-Mars était un traître qui conspirait par vanité contre son roi et contre son bienfaiteur ; ni l’un ni l’autre n’avaient épuisé leur sang pour placer la couronne sur la tête du monarque dont ils imploraient le pardon ; l’un venait de soulever le tiers du royaume, l’autre en ouvrait les portes à l’Espagne : tout cela était plus grave que les vantardises de Biron et ses manœuvres impuissantes avec la Savoie ; mais la conspiration du maréchal était le premier indice d’un mal pressant dont Henri mesurait chaque jour les conséquences en méditant douloureusement près du berceau de son fils. Il voyait clairement qu’il n’avait été qu’une digue, et qu’après lui le torrent tendrait à reprendre son cours : cette désespérante conviction le rendit inexorable ; il se vengea, pour ainsi dire, à l’avance en abattant la glorieuse tête d’un soldat et d’un ami[1].

Il n’est pas une combinaison politique de Henri IV dont Richelieu n’ait été l’exécuteur. Le terrible cardinal n’a guère fait qu’appliquer, selon son caractère et selon la différence des temps, les pensées qu’échangeaient Henri de Bourbon et Maximilien de Béthune pendant leurs conversations intimes dans la grande allée de l’Arsenal ou sous les sapins de Fontainebleau.

La guerre aux deux branches de la maison d’Autriche, l’alliance maritime avec l’Angleterre contre l’Espagne, la liberté du corps germanique sous le protectorat de la France, l’équilibre de l’Allemagne fondé sur l’égalité des deux religions, la balance politique de l’Europe, telle qu’elle fut réalisée un demi-siècle plus tard par le traité de Westphalie, aucun de ces points de vue, alors si nouveaux et si hardis, n’échappait à la sagacité du roi. Il se préparait avec patience et

  1. Les importans Mémoires du maréchal duc de La Force, récemment publiés par M. le marquis de La Grange, et qui jettent tant de jour sur cette époque, attribuent à l’influence du duc de Sully sur Henri IV et à la haine personnelle de ce ministre contre le maréchal de Biron l’exécution de l’arrêt de mort. La Force, beau-frère de Biron, en fait un crime au surintendant : rien de plus naturel ; mais il est un point de vue politique auquel ces Mémoires ne se mettent pas, quoiqu’il suffise d’en parcourir les curieuses pages pour s’y trouver soi-même placé. Voyez la lettre du maréchal à Mme de La Force, 4 juillet 1602, et la lettre du roi à M. de La Force, 7 août. (Tome 1er, page 334.)