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circonstance insignifiante de l’insurrection de 1838 ou de la révolution de septembre, on ne persuadera à personne que la Russie fût étrangère à ces deux évènemens. On ne persuadera à personne que l’issue du second comme celle du premier n’ait été pour elle le sujet d’un grave désappointement. Ce qu’il faut à la Russie, on l’a dit cent fois, c’est une Grèce agitée, troublée, malheureuse, et que le désespoir jette un jour dans ses bras. En 1838, en 18143 surtout, c’est là-dessus qu’on comptait à Saint-Pétersbourg ; c’est là-dessus que l’on compte encore à la faveur des nouvelles divisions.

Ainsi, monsieur, lorsque j’ai séparé le parti napiste en deux fractions, l’une qui veut sincèrement l’indépendance nationale, l’autre qui préfère le protectorat de la Russie, j’ai tout simplement dit ce que tout le monde sait en Grèce et en Europe. Il est d’ailleurs bien clair que je n’ai nul désir de me faire à Paris le procureur-général officieux du roi Othon et d’instruire le procès de tous ceux qui, à tort ou à raison, passent pour avoir, à une époque quelconque, favorisé les desseins de la Russie. Quand donc M. Zographos ou tout autre proteste de son inaltérable dévouement pour la royauté nouvelle et déclare que, soit en 1838, soit en 1843, il n’a jamais eu les projets qu’on lui prête, je n’entends point le contredire. Ce que je maintiens comme une vérité acquise à l’histoire, comme une vérité que ne saurait ébranler aucune dénégation individuelle ou collective, c’est que les projets dont il s’agit ont existé et qu’ils existent probablement aujourd’hui. Ce que je maintiens, c’est que la Grèce et l’Europe seraient folles si elles n’en tenaient pas grand compte, et si elles ne travaillaient pas à les déjouer.

On peut à la vérité me dire, et l’on m’a dit que si les fâcheuses tendances que je signale ont eu jadis quelque réalité, elles n’en ont plus depuis l’établissement de la royauté grecque, depuis surtout la dernière révolution. Je voudrais le croire ; mais voici, je l’avoue, ce qui m’embarrasse un peu. Il y a encore en Grèce, un parti, cela n’est point contesté, qui recherche par-dessus tout le patronage de la Russie. Qu’est-ce donc que ce parti peut attendre d’elle ? Avant l’affranchissement définitif de la Grèce, la Russie, plus que toute autre puissance, prêtait aux Grecs un secours efficace contre les Turcs. Il était simple alors que les Grecs lui en sussent gré, il était légitime qu’ils s’appuyassent sur elle ; mais aujourd’hui, quand il est notoire que la Russie n’est favorable ni à l’agrandissement de la Grèce actuelle, ni à son indépendance, comment veut-on que ceux qui se placent encore sous la protection russe ne passent pas en Europe pour des complices au