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les grands seigneurs terriens aussi bien que contre les bourgeois. Ceux-ci lui avaient, pendant cinq ans, fermé l’accès du trône ; ceux-là menaçaient, dans un prochain avenir, la faiblesse de son successeur. Gardant rancune aux premiers pour les souvenirs de la ligue, redoutant les seconds par les prévisions de la régence, Henri tenta des efforts persévérans pour diminuer la puissance des uns et des autres ; il s’attacha à changer les grands seigneurs en simples capitaines de ses gardes, et les hommes influens des parlemens et des grandes villes en secrétaires du roi, maîtres des requêtes et pensionnaires du trésor. Dans l’aristocratie, bon nombre se laissèrent prendre à cette haute et intime familiarité avec le monarque, les autres s’enfermèrent dans leurs terres ou derrière les remparts des places de sûreté, pour attendre des temps plus favorables. Dans la bourgeoisie, on oublia vite le glorieux épisode de la ligue, et, successivement évincés de toutes les fonctions importantes, effacés et humiliés par les gentilshommes maîtres de tous les accès de la cour, ses membres principaux rentrèrent silencieusement dans leurs comptoirs et dans leurs poudreuses études pour attendre, près de deux siècles, le moment de reparaître avec la vengeance dans le cœur sur la scène qu’ils étaient ainsi contraints de déserter.

Henri IV poursuivit sans relâche cette œuvre d’amortissement de toutes les forces contemporaines. Cachant, comme Auguste, sous des dehors systématiquement populaires, la réalité de sa puissance et l’orgueil de sa race, il laissa tomber en désuétude, malgré des engagemens formels et réitérés, la seule institution nationale universellement respectée, celle des états-généraux. Il remplaça ceux-ci par une simple assemblée de notables, et, lorsqu’il se déclarait prêt à se mettre en tutelle entre leurs mains, il disposait adroitement les choses de manière à rendre complètement vains tous les résultats de leurs délibérations[1]. Surveillant sans bruit et réprimant sans éclat les tentatives qu’il y avait quelque péril à divulguer, il lui suffisait que La Trémouille et Bouillon sussent qu’il avait l’œil sur eux, et qu’il n’ignorait rien des choses qui se murmuraient dans les conciliabules des réformés. Cependant, lorsqu’un grand exemple pouvait trouver des imitateurs au milieu de ses serviteurs mêmes, lorsque le danger ne sortait plus de ces partis mécontens qu’il fallait savoir ménager jusque dans leurs

  1. Sully explique fort au long comment les notables de Rouen furent conduits par d’habiles manœuvres à faire des propositions tellement inexécutables, que les membres de l’assemblée furent les premiers à supplier bientôt après le monarque de n’avoir aucun égard aux articles de leurs cahiers. (Mémoires, liv. VIII.)