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de son chef spirituel et de son chef européen, telle fut la préoccupation constante d’un prince qui ne se dissimula jamais les périls inséparables d’une situation équivoque et d’un titre contesté. À Rome ses humbles et souples négociateurs, à Paris ses secrétaires d’état, sortis de la ligue et vieillis dans les traditions de l’alliance espagnole, n’épargnèrent aucune démarche, ne se laissèrent rebuter par aucune difficulté. Henri savait qu’il n’était pas encore temps de se montrer superbe, et qu’il faut mesurer ses exigences à ses forces. L’absolution solennelle donnée par Clément VIII au roi de France dans la capitale du monde chrétien, le traité signé à Vervins entre ce prince et le roi catholique, étaient indispensables pour asseoir sur des bases stables le trône du chef de la maison de Bourbon. Ces précieuses conquêtes diplomatiques une fois consommées, il lui fut enfin permis de poursuivre une autre pensée que celle de sa propre conservation.

Durant la période de douze années qui s’écoule de 1598 à la mort de Henri IV, la physionomie de son règne s’éclaircit et s’élève. À la vie d’expédiens du chef de parti, à sa morale facile, à ses allures gasconnes, succèdent des vues systématiques appliquées avec une dignité persévérante. C’est toujours le prince à la parole vive, à la réplique heureuse, à la pensée nette et précise ; mais on sent que le souverain absorbe l’homme, et le modifie sensiblement, même au sein de ses faiblesses. Roi très chrétien, époux d’une Médicis, père d’un jeune dauphin, appuyé sur Rome et sur le clergé, reconnu et admiré par toute l’Europe, entouré de tous ses ennemis, qui font cortége à sa gloire, le Béarnais ne vit plus à cheval, dans les incertitudes et les anxiétés de chaque jour ; du sommet élevé où la fortune l’a porté, il embrasse d’une vue sereine une plus vaste perspective. Henri veut donner à la grande monarchie dont il est devenu le chef héréditaire, et qu’il laissera aux mains d’un enfant, des fondemens plus solides, il s’occupe surtout de conjurer pour l’avenir des dangers analogues à ceux qui faillirent amener le démembrement de la France. Constituer plus fortement l’unité nationale en restreignant toutes les forces indépendantes de la puissance royale, arracher à l’Espagne la prépondérance que lui avait léguée Charles-Quint en fondant l’équilibre européen sur la liberté du corps germanique, tel fut le double projet dont l’expérience du passé lui avait démontré l’urgence, et auquel il consacra toute la maturité de son intelligence et de sa vie.

L’édifice de la nationalité française, si péniblement élevé par les grands hommes et par les siècles, avait failli s’abîmer durant les violentes convulsions de la ligue. Voisine de l’Espagne, à laquelle obéissaient les deux mondes, de la Savoie, dont une maison ambitieuse travaillait