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pour Orléans, 400,000 livres à M. de Villeroy pour Pontoise, traitait avec le duc de Lorraine au prix de trois millions, en assurait autant au duc de Mayenne et au duc de Guise. Il achetait plus tard, à un prix plus exorbitant encore, la soumission du duc de Mercœur et la pacification de la Bretagne. Il consacrait enfin une somme de plus de trente-deux millions de livres à provoquer ces capitulations individuelles dont Sully nous a précieusement conservé le tarif et les quittances[1].

En observant avec quelque attention les premières démarches de Henri IV après son entrée dans Paris, il est facile de voir que ses appréhensions constantes, pour ne pas dire exclusives, portaient sur les dispositions secrètes du peuple. Il croyait l’Espagne lassée d’une entreprise toute pleine de déceptions, et n’ignorait pas que la vieillesse de Philippe II le faisait incliner à la paix. Il savait que l’or et les honneurs lui assureraient les grands, et que la mémoire de si récentes calamités maintiendrait les classes aisées dans une passive obéissance ; mais il ne se dissimulait pas que d’ardentes colères couvaient au sein des masses. Celles-ci se croyaient trahies et ne se tenaient pas pour vaincues. Elles voyaient avec une profonde répulsion, assis au trône des rois, le renégat qu’on leur avait appris si long-temps à insulter et à maudire. Se refusant à reconnaître pour sincère une conversion intéressée que Rome persistait encore à ne pas ratifier par une absolution, bon nombre d’esprits faisaient de cette abjuration même un grief de plus contre lui. D’ailleurs les souffrances passées touchaient peu le peuple, car elles sont malheureusement son partage sous tous les régimes, et ces grands jours de crise lui avaient apporté du moins des émotions qui lui avaient fait oublier sa misère, et dont il regrettait la perte. Il avait alors une cause à défendre et du sang à verser pour une pensée chère à son cœur. Ces souvenirs, qui survécurent à quinze ans de prospérité pour enfanter Ravaillac, étaient, dans les premières années du règne de Henri IV, un péril de chaque moment. Ce prince ne se faisait pas illusion sur les répugnances qu’il inspirait au peuple de sa capitale et de beaucoup de villes ligueuses ; aussi peut-on voir dans le journal de sa vie que d’efforts il tentait chaque jour pour se concilier les masses, quels semblans de confiance et de sécurité il affectait au milieu des précautions multipliées d’une police alarmée et vigilante. Henri consacre aux processions et aux longues solennités populaires tout le temps qu’il dérobe à ses maîtresses ; il recherche et

  1. Mémoires de Sully, liv. X.