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ses plus vieux serviteurs, tarifant chacun selon la mesure de son importance, selon le degré même de sa haine. C’est là ce que le XVIIIe siècle a cru devoir appeler la clémence de Henri IV, et ce que nous appelons aujourd’hui sa politique : politique pénible, mais nécessaire, qu’un roi chevalier n’aurait point faite, mais qui seule était possible au milieu de la corruption générale que les longues perturbations amènent presque toujours à leur suite.

C’était avec ces hommes aigris et ces serviteurs nouveaux que Henri IV allait conquérir pied à pied un royaume où, lors de son avènement, Tours, Blois et Caën étaient à peu près les seules places importantes qui arborassent ses blanches couleurs. Dominé par le conseil de la sainte-union, frémissant sous la parole de ses orateurs, Paris redoublait d’ardeur et de sacrifices. Il avait dirigé une armée nombreuse et bien pourvue sur la Normandie, où le roi s’était retiré pour recevoir les secours de l’Angleterre. Rouen y surpassait Paris dans son dévouement à la vieille cause municipale et catholique. Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille, presque toute la France d’outre-Loire retrouvait ses vieux souvenirs d’indépendance et d’administration locale. La Flandre espagnole versait de grandes forces sur la Picardie, et la catholique Bretagne avait ouvert tous ses ports aux flottes de Philippe II.

Ce fut pourtant cette armée royale, si inférieure en nombre et en ressources à la grande armée populaire qui vainquit à l’héroïque journée d’Arques et à la grande bataille d’Ivry, ce furent ces gentilshommes mécontens et désunis qui triomphèrent des bonnes villes de France, associées dans une pensée de conscience et de liberté bourgeoise ; enfin, l’on vit ces escadrons, sans artillerie, sans argent, sans union, et le plus souvent sans discipline, défaire et chasser deux armées espagnoles, commandées par le prince de Parme, le premier capitaine de son siècle. Comment cela se put-il faire, et pourquoi la ligue fut-elle vaincue ?

Le coup décisif porté par Henri IV à ses ennemis fut assurément son abjuration. La France conquit son roi à Saint-Denis, et ce prince y conquit à son tour un royaume. Le canon de la messe, ainsi qu’il le déclarait dans une spirituelle saillie, pouvait seul faire brèche aux bonnes murailles de Paris. Le retour de Henri de Bourbon à la religion de ses ancêtres et de ses peuples transformait la ligue en faction. Enlever à un parti l’idée du droit sur lequel il s’est fondé, c’est le frapper à mort dans la conscience publique. Mais les obstacles qu’on vient de rappeler, joints aux démarches passionnées d’un légat instrument