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Simla, en forçant les troupes de la compagnie à passer l’Indus, en se précipitant dans cette voie malheureuse où le cabinet russe avait toujours voulu le pousser. Le 19 février, l’armée réunie des Anglais et des Sikhs entrait en campagne pour commencer la guerre de Kaboul. Plutôt que de tenir tête en Europe à des embarras qui n’étaient là qu’éventuels, plutôt que de parler ferme à la Russie, au risque de chagriner une amitié si tortueuse, le cabinet de Londres allait chercher en Asie des revers trop certains pour qui connaissait les lieux et les mœurs ; il allait fortifier la position des Russes, tout prêts à tirer parti de ses mauvaises affaires d’Orient pour faire les leurs en Occident. Plutôt que de suivre hardiment ces grandes lignes toutes droites où les états de premier ordre ont si bon air à marcher, où ils peuvent se rencontrer si honorablement, plutôt que de traiter face à face avec les Russes, il préférait leur disputer le terrain à distance et par des contremines qui ne devaient ensevelir que sa fortune ; car ce fut là réellement la fin de ces négociations dont on vient de lire l’histoire, ce fut par là que se termina cette triste série de mensonges et de faiblesses, ce fut là que tout aboutit. Le premier résultat de la politique de lord Palmerston en orient, ç’a été l’expédition de lord Auckland ; le second, le massacre des Anglais par les Afghans ; le troisième, le massacre des Afghans par les Anglais et le ridicule triomphe de lord Ellenborough. Dieu garde l’Angleterre des autres, et la préserve du reste ! Mais il n’en est pas moins véritable qu’à force d’avoir exaspéré les animosités politiques et le fanatisme religieux de l’Asie, sous prétexte de lui inspirer la terreur de son nom, elle a diminué partout, elle a éteint l’aversion qu’on y ressentait jadis pour le nom des Russes ; elle a détruit le respect de sa force et répandu la crainte d’une puissance qu’elle osait à peine attaquer de biais ; elle a servi d’avant-garde à l’invasion moscovite[1].

On connaît assez ces grands et formidables évènemens, on connaît moins la diplomatie qui les prépara. Les Anglais ont judicieusement caché cette cause secrète de tous les maux dont ils auront tant de peine à sortir : par deux fois on a voulu dans les chambres soulever le voile qui couvrait la victoire de l’habileté russe sur la pusillanimité

  1. Un officier anglais, voyageant dans la Haute-Asie après tous ces événemens, rapporte que le czar y passait déjà pour le roi des rois de l’Europe, et qu’on y traduisait ainsi son titre impérial. « Les habitans d’Hérat, dit le capitaine Conolly, croient que les Russes sont des géans et des mangeurs d’hommes destinés à faire la conquête de l’Orient. » La crainte des Russes a pénétré dans le Bengale, et leur nom descend peu à peu jusqu’à la moitié de l’Hindoustan.