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la crainte de voir la Perse livrée sans défense à la Russie firent ouvrir des relations amicales avec Runjet-Singh. Cette décision s’était encore trouvée confirmée en 1833, lorsque le secrétaire-général de la compagnie des landes, à l’entrée d’une nouvelle campagne entreprise sans plus de succès par Runjet-Singh et Shah-Soudjah contre Kaboul, avait positivement déclaré « que le gouvernement anglais portait un intérêt direct à leur expédition. » La position allait enfin se marquer d’une manière tout-à-fait nette en 1838, par un traité formellement et officiellement consenti entre l’Angleterre et le roi de Lahore.

Avait-on là trouvé la voie la plus sûre ? Il était plus que permis d’en douter ; on ne pouvait se donner d’amis qui fussent moins considérés en Orient, on ne pouvait perdre à plaisir un rôle plus avantageux que celui dont on se privait par cette alliance exclusive, le rôle de modérateurs et d’arbitres par où l’on eût concilié les Afghans et subordonné les Sykhs. Malheureusement on était si troublé de l’approche des Russes, qu’on ne se croyait plus jamais ni assez loin d’eux, ni assez protégé contre eux ; on avait travaillé si long-temps à la ruine de l’Afghanistan de concert avec la Perse, qu’une fois la Perse marchant à son tour de concert avec la Russie, on croyait déjà l’Afghanistan perdu avant même que la Russie y eût mis le pied, et comme on s’était condamné à servir humblement cette politique, comme on prêtait à ce double progrès de la Russie et de la Perse le concours d’une bonne intelligence trop hautement professée pour qu’on pût la desservir sous main d’une façon bien efficace, on n’avait plus d’espoir de résistance que dans les Sykhs, et l’Angleterre comptait que Runjet-Singh saurait mieux qu’elle faire face au czar. Singulière préoccupation de ces politiques aveuglés ! On n’oubliait qu’une chose, c’est que depuis 1824 Lahore était en correspondance avec Saint-Pétersbourg ; c’est que Runjet-Singh avait en ce temps-là juré « que le moment était venu de chasser enfin les Anglais de l’Asie, » c’est qu’il se méfiait tellement de l’Angleterre, qu’il avait d’abord refusé de recevoir Allard et Ventura, de peur qu’ils ne fussent des Anglais déguisés. On voulait croire que l’intérêt de son ambition et de sa vengeance contre les Baraksaïs lui ferait oublier ces vieux ressentimens, et l’on s’obstinait à ne pas voir que les Baraksaïs eux-mêmes se trouvaient par la violence de leurs antipathies nationales, par suite des dangers qu’ils couraient, les ennemis les plus certains de la puissance moscovite. On fermait les yeux à cette leçon du passé qui disait si clairement que, pour arrêter les Persans en 1834, il fallait s’appuyer sur les Afghans, comme on s’était appuyé sur les Persans, en 1799, pour résister