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vous êtes autorisé à offrir au shah les bons offices de la mission anglaise pour accommoder les différends qui pourraient s’élever entre les deux nations. »


C’était là neutraliser toute l’action qu’on pouvait attendre du caractère de M. M’Neill ; c’était l’attacher lui et ses idées à des prescriptions tellement équivoques ou tellement insignifiantes, qu’elles ne laissaient plus de milieu entre la nullité à laquelle s’était résigné M. Ellis et l’éclat auquel menait presque nécessairement l’esprit de son successeur. Comment en effet, après avoir si violemment démontré l’intérêt que l’Angleterre avait dans les affaires de Perse, et le danger dont les progrès de la Russie menaçaient l’Europe entière, comment M. M’Neill pouvait-il s’empêcher de parler au nom du cabinet qui l’envoyait et se réduire à supplier la Perse au nom de son propre avantage ? comment pouvait-il souffrir qu’on le laissât se débattre inutilement à Téhéran contre des intrigues qui partaient de Saint-Pétersbourg et qu’il fallait commencer par arrêter là ? Puis, qu’avait-il à faire de cet article du traité de 1814 qu’on lui donnait pour règle de tous ses rapports avec la Perse et l’Afghanistan ? Le traité avait été imposé à la Perse par l’Angleterre et la Russie, assez étrangement unies par la réciprocité de leurs jalousies et de leur défiance ; l’article 9, auquel s’en référait maintenant lord Palmerston, portait l’empreinte de cette situation : « Si la guerre, y disait-on, venait à se déclarer entre les Afghans et les Persans, le gouvernement anglais n’interviendrait d’aucun côté, à moins que sa médiation pacifique ne fût sollicitée par les deux parties. » L’Angleterre et la Russie comptaient sur la Perse, l’une pour s’ouvrir l’Afghanistan, l’autre pour le tenir en échec : c’était là le secret de cette neutralité, acceptée dans l’espoir d’assurer la frontière indienne, demandée dans l’espoir de la découvrir. Le temps avait donné raison aux calculs de la Russie ; ce n’était plus l’Afghanistan, c’était la Perse qui menaçait l’Inde, et Angleterre, n’avait plus besoin de précautions contre les ambitions afghanes, se trouvait avoir les mains liées par ces précautions même depuis qu’il s’agissait d’arrêter l’ambition du shah. Restait seulement à savoir si ce traité de 1814, tant de fois violé par tous les intéressés, demeurerait encore valable au détriment du gouvernement britannique. Lord Palmerston se chargeait de le rajeunir et de le fortifier, pour mieux se mettre en garde contre les vivacités de son nouvel ambassadeur, en l’astreignant à la lettre perfide de cette convention à moitié abrogée.