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M. Ellis, ne veut pas ou plutôt n’ose pas (dare not) se placer avec nous dans la condition d’une alliance trop étroite. » L’amitié de l’Angleterre ne lui servait de rien pour la protéger contre les exigences des Russes, puisque ces exigences n’avaient guère de force qu’en s’autorisant du concours officiel de l’Angleterre elle-même ; c’était ce concours qu’il eût fallu démentir. « Il faudrait, disait encore M. Ellis, pour bien arrêter les projets du shah, que l’Angleterre se prononçât ouvertement contre eux. » Entre ces deux grandes puissances, dont chacune eût voulu dominer toute seule, la Perse ne pouvait résister à la contrainte de l’une qu’en lui prouvant la contrainte de l’autre. C’était à l’Angleterre de mettre son ultimatum en face de l’ultimatum russe. Était-ce donc là ce qu’on avait fait ? Il sembla tout d’un coup que l’on entreprit de mieux faire.


II

M. Ellis est rappelé ; on lui donne pour successeur M. M’Neill. Le choix devait paraître bien significatif ; M. M’Neill était un de ces hommes d’humeur aventureuse et décidée comme il s’en trouve quelquefois dans les rangs secondaires de la diplomatie anglaise : diplomates par occasion, voyageurs par goût, marchands, missionnaires ou soldats par métier, on les voit se prendre de passion pour une tribu sauvage, pour une peuplade errante, pour quelque petit prince barbare de l’Orient ou de l’Occident, apporter au service de ces bizarres amitiés tout ce qu’il y a d’original et d’opiniâtre dans le caractère anglais, s’attaquer tout seuls, sous prétexte de les défendre, à tel ou tel état européen, et lui faire la guerre pour leur compte avec l’énergie du fanatisme ; vrais touristes politiques, avoués ou désavoués par la mère-patrie, suivant les intérêts du moment ou les fantaisies personnelles des cabinets. Or, M. M’Neill était de notoriété publique le champion de la Perse et l’ennemi juré de la Russie. Revenu en Angleterre vers la fin de 1834, après un long séjour en Orient, il était bien vite efforcé de répandre les convictions dont il était lui-même pénétré. Aussi lord Palmerston n’avait-il eu garde de le comprendre dans cette malencontreuse ambassade qui venait d’échouer si fâcheusement sous la conduite de M. Ellis. On l’avait écarté en 1535 ; on le choisit en 1836 pour représenter l’Angleterre auprès d’un gouvernement que l’Angleterre abandonnait, depuis bientôt deux ans, à l’influence des Russes. M. M’Neill avait-il donc modifié ses opinions, ou seulement les dissimulait-il ? En aucune manière ; c’était