Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/792

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

13 novembre 1835.

« Il est très déplaisant de savoir que le shah médite d’importantes conquêtes du côté de l’Afghanistan, et, d’un commun accord avec tous ses sujets, se croit sur Hérat et sur Kandahar des droits aussi complets que le furent jadis ceux de la dynastie Suffavéenne. Ces prétentions lui sont particulièrement inspirées par le souvenir des succès d’Abbas-Mirza dans sa campagne du Khorassan, et par les suggestions du colonel Borowski. »

C’est donc sous l’influence de la Russie, c’est à l’école de ses diplomates que la Perse en vient à comprendre ainsi « l’intégrité » de son territoire. Lord Palmerston, en la revendiquant pour elle dans cette triste dépêche du 5 septembre 1834, ne pensait guère qu’à défendre ses provinces du nord contre les Russes ; elle entend maintenant élargir ses frontières de l’est et tracer la route par où les Russes eux-mêmes marcheront sur les Anglais.

M. Ellis réfléchit deux mois et demande ensuite une explication aux ministres persans. Il ne dit rien de leurs rapports secrets avec l’envoyé moscovite ; il admet, à bon droit d’ailleurs, la justice de leurs plaintes contre le khan d’Hérat. Mais on ne veut pas seulement une réparation, un hommage ; on veut annexer à l’empire tout le pays qui va de Kandahar à Ghizni, on réclame les droits qu’on tient du temps de Nadir-Shah ; il n’y a point de raison pour qu’on n’aille pas à Delhi reprendre aux Anglais l’héritage du Nlogol, qui fut aussi jadis le domaine de Nadir[1]. Évidemment là c’est une pensée russe. M. Ellis se contente de répondre « qu’il oserait bien affirmer (ventures his opinion) que des prétentions datées de si loin ne pourront être regardées d’un œil indifférent par le gouvernement britannique. » Huit jours ne s’étaient pas encore écoulés, qu’il était enfin obligé de voir les choses telles que les avaient faites et l’aveuglement volontaire de son cabinet et la timidité de ses propres démarches. On ne daignait plus même jouer à jeu couvert ; il fallait donc que l’Angleterre parlât. Elle avait certes beaucoup à dire ; mais, comme son ministre avait craint de trop prévoir, son envoyé craignit de trop s’expliquer.


8 janvier 1836.

« J’ai appris hier de source certaine que le ministre de la Russie près de cette cour s’est exprimé dans les termes les plus énergiques sur l’avantage

  1. L’envoyé de Kandahar à Téhéran disait à M. Ellis, en avril 1836, que tout l’Afghanistan, à l’exception d’Hérat, se soumettrait volontiers par une sorte d’hommage féodal à l’empire de Perse pour donner au shah le moyen de pousser jusqu’à Delhi, comme avait fait Nadir. (M. Ellis à lord Palmerston, 10 avril 1836.)