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seule insinuation pour le convertir aux mérites de l’alliance russe en Orient ; il n’a contre elle ni d’objections ni d’observations immédiates, il laisse faire, il laisse le candidat de Saint-Pétersbourg s’apprêter à loisir ; il garde un silence de quatre mois, sous prétexte de mieux s’éclairer ; puis un jour vient où, comme par une inspiration soudaine, sans discussion et sans preuve, il répète en son nom l’étrange axiôme de M. de Nesselrode : l’Angleterre et la Russie ne peuvent avoir, au sujet de la Perse, que les mêmes intentions et les mêmes vœux ! Était-ce donc là de vieilles traditions qu’il suffit de rappeler si vite et d’affirmer d’un mot’ ? Non. C’était soulever le paradoxe le plus fâcheux et le moins attendu, c’était imposer un mensonge au pays lui-même, et lui en infliger tout le dommage par amour pour la conciliation.

Ce fut, au reste, une scène assez curieuse. Lord Palmerston avait prié l’ambassadeur russe de passer au Foreign Office. L’ambassadeur ne s’était pas encore donné le moindre mouvement, et depuis quatre mois il n’avait pas dit un mot de cette question dans laquelle son gouvernement prétendait agir d’un si bon accord avec le gouvernement britannique. Sans se déconcerter pour tant d’indifférence, lord Palmerston se met tout aussitôt à professer les doctrines de Saint-Pétersbourg l’unité d’action, l’identité d’intérêts, telle est à ses yeux la politique obligée des deux cabinets dans leurs affaires de Perse. Il déclare bravement qu’en tout état de cause, il ne leur faut, quel qu’il soit, pour la prochaine succession qu’un seul et même candidat ; puis, couvert à propos par cette sage théorie que l’ambassadeur russe n’avait garde de contester, il se rabat enfin à nommer par son nom celui-là même que le ministère russe lui désignait quatre mois à l’avance. L’ambassadeur répond modestement que ces bonnes assurances du gouvernement anglais seront accueillies à Saint-Pétersbourg avec satisfaction. C’est là tout son discours ; pouvait-il mieux parler que M. de Nesselrode[1] ?

Arrive bientôt quelque chose de plus étonnant peut-être que cette singulière concorde en un sujet si scabreux : c’est la façon dont elle se prolonge, c’est l’intimité qu’elle entraîne, c’est la portée qu’elle prend tout d’un coup. Le cabinet russe n’est pas encore satisfait d’avoir mis si facilement sur le trône de Perse un prince de son choix ; ce prince lui-même pourrait céder aux vieilles prédilections de son peuple, et le meilleur moyen de l’obliger à gouverner au profit de la Russie, c’est que l’Anglais paraisse en personne à côté du Russe et

  1. Dépêche de lord Palmerston à M. Bligh, 16 juin 1834.