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petits états afghans, où leurs intrigues n’avaient pas seulement encore pénétré[1].

L’Angleterre ne tenta rien de tout cela, et cette politique ne fut pas la sienne. Les Russes avaient peine à s’insinuer au milieu de l’Asie ; chose étrange, et pourtant nous l’allons voir, ce fut l’Angleterre qui leur facilita cette rude besogne ; l’Angleterre sembla prendre à lâche de leur pousser dans les bras toutes ces populations, qui fuyaient instinctivement leur approche. C’est là le rôle qu’elle a joué sans interruption par sa diplomatie depuis 1834 et par ses armes depuis 1838 ; c’est là comme une bizarre merveille d’aveuglement et de mensonge par où l’on peut juger des extrémités auxquelles une fausse direction finit toujours par précipiter les gouvernemens qui s’y opiniâtrent. On entendit alors les témoins étonnés de ces incroyables pratiques, ceux qui avaient assisté de près aux tristes résultats de cette aberration, ceux qu’elle frappait directement comme un désastre national, protester tous à la fois et remplir toutes les tribunes de leurs cris de colère. Il en est même de plus exaltés qui, poursuivant encore aujourd’hui une vengeance impossible, vont chercher pour la satisfaire les moyens les plus énergiques qu’ils puissent trouver dans la constitution ; il en est qui en sont encore maintenant à réclamer le bill d’impeachment, comptant bien amener à la fin devant la justice du pays le ministre déchu qu’ils accusent de trahison[2].

Pour nous, instruits par des erreurs plus récentes et qui nous touchent de plus près, nous pouvons trop facilement expliquer de pareils malheurs sans avoir besoin d’imaginer des crimes si noirs. Il y a des torts qui ne sont pas moins déplorables, de faux calculs et de fausses idées qui mènent à mal aussi sûrement que de mauvaises passions. Si dans la conduite des affaires extérieures de l’état il est quelque chose de plus fâcheux qu’une politique corrompue, c’est une politique indécise et timide : on corrige la première, qui ne peut guère d’ailleurs

  1. M. Masson, qui se trouvait alors employé à surveiller la navigation de l’Indus, assure que les Russes n’avaient aucune influence en Afghanistan, et pendant long-temps n’y furent pas même connus.
  2. Voir un livre fort curieux où la sincérité du parti pris s’élève souvent jusqu’à l’éloquence : Exposition of transactions in central Asia, through which the independence of states and the affections of people, barrers to the British possessions in India, have been sacrificed to Russia by Henry John viscount Palmerston, constituting grounds for the impeachment of that minister. C’est l’œuvre de l’homme qui vint si courageusement à Paris en 1840 pour y protester au nom de la loyauté anglaise contre le traité du 15 juillet, de David Urquhart.