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Bernois demandent à leur gouvernement de réparer le tort qui leur est fait par une saisie des biens de corporations lucernoises situées sur le terrain bernois. Le canton de Vaud n’a pas la même ressource, et son conseil d’état a reçu déjà de nombreuses plaintes, Lucerne étant un débouché pour ce pays vinicole.

Poussé par l’impétuosité de ses populations, Berne a député aussi au directoire deux conseillers d’état, chargés de le sonder sur le projet d’une ligue formée avant la diète, afin de s’y assurer une majorité pour l’expulsion des jésuites hors de la confédération. Berne, à qui son étendue, son caractère et sa position donnent un poids immense, est maintenant à la tête du parti démocratique en Suisse ; mais, à ce trait essentiel qui lui donne, dans le débat actuel, une importance que peut à peine contrebalancer la place de vorort occupée par Zurich, Berne joint cette vieille habitude d’activité politique, ce vouloir à la fois habile et entêté qui a tant contribué à sa renommée, et de plus Berne a de l’argent.

La réponse de Lucerne au directoire, à peine connue (réponse d’abord évasive, à présent très nette), Berne a donc pris l’initiative des résolutions ultérieuses. Son gouvernement a délégué publiquement deux de ses membres dans tous les cantons, en commençant par Zurich, pour conférer sur les mesures à prendre. Délibérer ainsi, c’est agir déjà. Mais Berne a fait davantage : il a su à la fois ne point s’assimiler les corps-francs, ne pas les dédaigner, et se ménager quelque possibilité de les contenir ; vis-à-vis des autres cantons surtout, ces corps ont été pour la politique de Berne, qui pouvait les lâcher ou les retenir, un puissant moyen de persuasion. Quelle que soit l’opinion de plusieurs de ses membres, le gouvernement bernois décline hautement tout appui donné au radicalisme et le signale comme un des ennemis de la Suisse ; mais il a jugé habilement qu’il valait mieux, le fait existant, avoir les fougueuses sociétés populaires sous la main que hors de la main. Toutefois, le danger d’avoir de tels auxiliaires devient de plus en plus frappant, même pour Berne. Jamais, d’ailleurs, opinion plus prononcée n’a été implantée dans les masses que celle de l’expulsion des jésuites, et, à Berne surtout, si le gouvernement voulait la braver, il serait renversé sans coup férir. Du reste, il n’a nulle envie de se faire martyr pour une telle cause ; mais toute l’adresse et même toute l’audace possibles suffiront-elles pour trouver une issue ?

Jusqu’ici, les tentatives de Berne n’ont pas amené beaucoup d’unité dans les avis. Le peuple seul, partout où il est protestant, est décidé et unanime contre les jésuites ; il veut les chasser par tous les moyens, légaux ou illégaux, comme les cantons du centre, avec Fribourg et le Valais sont décidés à les défendre. Quel que soit cependant le résultat positif ou prochain de cette lutte religieuse, son influence politique et sociale n’en est pas moins déjà très marquée : non-seulement elle porte sur le point le plus délicat de la question fédérale, mais elle tend de plus en plus à changer la démocratie représentative en démocratie pure ; elle accoutume le peuple à intervenir, à