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n’est que peu à peu et comme à regret qu’il se laisse altérer par quelques tentatives de nouveauté ; dans les lieux, au contraire, où la victoire reste de bonne heure aux idées de réforme, et où, soit de gré, soit de force, une bourgeoisie improvisée s’est mise en possession des droits de cité et de commune, on s’aperçoit bien vite que les nouveaux constructeurs ont dû trouver la porte ouverte pour ainsi dire, et qu’ils se sont établis avec liberté et hardiesse, sans se soucier des anciennes traditions ; enfin, lorsque les franchises municipales, nées de transactions pacifiques ou d’octrois bénévoles, sont tempérées, incomplètes, et laissent une large part à la vieille autorité, il n’est pas rare que les deux styles semblent se marier et se fassent à chacun leur part en bonne harmonie et d’un mutuel consentement.

Or, c’est là précisément le spectacle que nous offre notre cathédrale de Noyon. Le plein cintre et l’ogive sont en présence, mais sans qu’il y ait entre eux la moindre hostilité : l’ogive domine, mais en quelque sorte malgré elle, et en laissant voir une sorte de soumission inaccoutumée vis-à-vis du plein cintre. Cette singularité devient toute naturelle si l’on fait attention aux circonstances qui amenèrent et qui suivirent l’établissement de la commune dans la ville de Noyon. Ce ne fut pas, comme à Laon, comme à Reims, au moyen de violentes insurrections et au prix de leur sang que les habitans de Noyon obtinrent leurs franchises. Ils étaient gouvernés, vers le commencement du XIIe siècle, par un évêque nommé Baudry, homme sage, clairvoyant et de bonne foi ; avant d’être élevé à l’épiscopat, Baudry, simple chapelain de l’évêché de Cambrai, avait assisté aux troubles sanglans de cette ville, et s’était convaincu qu’on ne gagnait rien à résister aux tentatives d’indépendance qui éclataient alors de toutes parts ; que mieux valait les prévenir par d’habiles concessions, et qu’une fois ces concessions faites, elles devaient être fidèlement respectées. Il n’attendit donc pas que la révolte se fît entendre ; il alla au-devant d’elle, et, dès l’an 1108, de son propre mouvement, il présenta aux habitans de la ville une charte de commune, jura de l’observer, et tint parole. Les droits octroyés par cette charte n’étaient pas, comme le remarque M. Thierry[1], tout-à-fait aussi étendus que ceux qui avaient été conquis de vive force dans d’autres villes ; mais les bourgeois de Noyon s’en contentèrent, et comme les successeurs de Baudry eurent la sagesse d’imiter son exemple, on ne vit point à Noyon, comme dans tout le voisinage, ces fausses trêves sans cesse rompues par le meurtre et la violence : la

  1. Lettres sur l’Histoire de France, in-8o, p. 268.